BRONTË LES
L'énigme et sa réalité
Aussi Fannie Ratchford a-t-elle mille fois raison lorsque, dans la préface de son livre consacré aux écrits d'enfance, elle renvoie dos à dos avec une audace tranquille l'ensemble des interprétations que leur méconnaissance inconcevable de la réalité du texte frappe de nullité et la masse à proprement parler fantastique de livres consacrés depuis un siècle à exalter le moindre fait de la vie des Brontë, le moindre caractère du village, du Yorkshire tout entier qu'ils ont rendu fameux, sans pouvoir ajouter beaucoup au livre original dont ils procèdent tous, la biographie d'Elizabeth Gaskell.
Après C. W. Hatfield, admirable érudit qui a consacré le plus clair de sa vie à déchiffrer l'ensemble des manuscrits des quatre enfants et à qui l'on doit en particulier une édition définitive des poèmes d'Emily, Fannie Ratchford est la première à avoir tenté un saut décisif, même si ses travaux restent fort discutables. Elle a cherché, d'une part, à établir un réseau de relations entre les écrits de jeunesse et les romans qui les redoublent et, d'autre part, à rétablir l'intrigue narrative qui organisait originellement les poèmes d'Emily.
Car la position si singulière d'Emily dans l'ensemble de l'œuvre familiale doit beaucoup à la disparition de la totalité des manuscrits où ces poèmes avaient leur place. Il ne fait aucun doute que, si l'on possédait ses manuscrits et ceux d'Anne, Wuthering Heights, loin d'être ce livre clos et solitaire qui reste l'instrument majeur de l'abstraction trompeuse où l'on tient Emily, retrouverait sa place naturelle, comme les romans d'Anne auraient la leur, comme ceux de Charlotte ne s'éclairent que si on les réintroduit dans le cycle ouvert par ses premiers écrits et ceux de Branwell. Ainsi s'impose, autour d'une absence centrale, l'idée indiscutable d'un texte unique qui rassemble tous les écrits des quatre enfants et constitue l'« œuvre complète » où Charlotte a le privilège opposé de couvrir tout le champ. Car si l'on peut s'enchanter isolément de tel roman, de tel poème, la tentation de la juste lecture doit se payer au prix de la totalité du texte.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raymond BELLOUR : maître de recherche au C.N.R.S.
Classification
Média
Autres références
-
ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 170 mots
- 30 médias
...Zola avec Charles Reade (1814-1884), ou bien continuent à décrire la province, à la suite de Jane Austen, comme Mrs. E. C. Gaskell (1810-1865). Le cas des sœurs Brontë (Charlotte, 1816-1855 ; Emily, 1818-1848, et Anne, 1820-1849), surtout d'Emily, est si unique dans la littérature victorienne... -
GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA
- Écrit par Gilles MENEGALDO
- 6 313 mots
- 5 médias
L'Angleterre victorienne n'a pas renié, malgré l'orientation réaliste de sa littérature, la tradition gothique. Il y a dans WutheringHeights (1847) d’Emily Brontë des doigts glacés qui cognent aux vitres, une lande sinistre et un héros noir byronien (Heathcliff) ; dans Jane Eyre (1847), de... -
LES HAUTS DE HURLEVENT, Emily Brontë - Fiche de lecture
- Écrit par Claire BAZIN
- 1 012 mots
- 1 média
Emily Brontë, née en 1818, est la fille du révérend Patrick Brontë. Comme ses sœurs, elle manifeste très tôt un goût prononcé pour l'écriture, s'associant avec la plus jeune, Anne, pour créer le royaume imaginaire de Gondal. Plus qu'aucune autre de ses sœurs, Emily est passionnément attachée à la...
-
JANE EYRE, Charlotte Brontë - Fiche de lecture
- Écrit par Claire BAZIN
- 889 mots
- 1 média
Charlotte Brontë (1816-1855) est la troisième fille de Patrick Brontë, pasteur de Haworth, et de Maria Branwell, qui disparaît très tôt, laissant les six enfants à la charge de leur père et de Miss Branwell, leur tante aux stricts principes méthodistes. Très jeune, Charlotte Brontë s'adonne à l'écriture...