LES BUDDENBROOK, Thomas Mann Fiche de lecture
Quelle place pour l'art, dans le monde bourgeois ?
Le déclin décrit par Thomas Mann rappelle un thème souvent abordé par les écrivains naturalistes de la fin du xixe siècle. Toutefois, il a peu à voir, dans Les Buddenbrook, avec l'hérédité. La décadence, ici, ne trouve pas son origine dans des tares, comme chez Zola. Elle est causée par la suprématie que finissent par prendre sur l'effort pratique, chez les individus, les aspirations personnelles et la vie intérieure.
C'est la sensibilité qui, en s'affinant, va perdre peu à peu la famille Buddenbrook. Car il faut être dur pour mener les affaires. Le seul qui soit véritablement en accord avec les nécessités d'une entreprise commerciale est son fondateur. Tout au bout de la lignée, le jeune Hanno représente l'exacte antithèse de son arrière-grand-père. La passion du théâtre et de la musique nourrit sa désespérance, et la maladie se superpose à elle pour hâter le processus destructeur qui l'habite.
Les Buddenbrook n'est pas un roman historique. Événements marquants et hommes illustres n'y sont présents que sur un mode anecdotique, à travers les discussions entre personnages. Ainsi de Napoléon, de Louis-Philippe, de la révolution de 1848, et, plus faiblement, de la guerre de 1870. Reste que, si l'histoire n'y intervient que latéralement, ce roman a pu être interprété comme l'analyse de la décadence d'une classe, la bourgeoisie allemande. Or telle n'était pas la perspective de Thomas Mann. Son intention était plutôt de mettre en évidence l'opposition entre ces deux figures que sont le Bourgeois et l'Artiste. Conformément à certaines théories de la fin du xixe siècle, il pensait que le génie artistique avait partie liée avec la maladie, la dégénérescence, la folie. Avec des variations, ce thème allait accompagner toute son œuvre. Dans Les Buddenbrook, son habileté a été cependant de rejeter cette thèse à l'arrière-plan afin de composer, avec une extraordinaire maturité pour un jeune homme qui n'en était qu'à ses débuts d'écrivain, un roman total, englobant tous les aspects de la réalité. Dans cette fresque de la bourgeoisie, on n'oubliera pas les magnifiques scènes chorales où une communauté entière vient se représenter. Ainsi de la fête sur laquelle s'ouvre le roman, ou encore de l'évocation de Noël : « Puis Mme Buddenbrook mère se leva et, prenant par la main son petit-fils Johann et sa petite-fille Élisabeth, traversa la salle ; les plus âgés de la compagnie se joignirent à elle, les plus jeunes suivirent ; dans la galerie, les domestiques et les pauvres fermèrent le cortège. Alors, tandis que tous, d'une seule voix, entonnaient : „O Tannenbaum“ et qu'en tête l'oncle Christian, pour faire rire les enfants, disloquait ses jambes comme un pantin et chantait stupidement : „O Tantebaum“, l'on franchit la haute porte ouverte à deux battants, les yeux éblouis, le visage souriant, et l'on se trouva soudain transporté en plein paradis. »
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Écrit par
- Lionel RICHARD : professeur honoraire des Universités
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...employé dans un sens péjoratif, stigmatisant un courant littéraire qui se complaît dans la laideur. Néanmoins, on a tendance aujourd'hui à considérer Thomas Mann comme un auteur naturaliste, notamment pour son roman LesBuddenbrook(1901) dont la construction suit l'évolution et la déchéance progressive... -
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