LES CAHIERS DE MALTE LAURIDS BRIGGE, Rainer Maria Rilke Fiche de lecture
L’expérience de la solitude
Ni roman ni autobiographie, ce texte singulier, beau et bizarre à la fois dans la dualité emblématique évoquée par Baudelaire, est divisé en 71 séquences d’inégale longueur allant d’une demi-page à une dizaine de pages et réparties sur deux cahiers ou carnets. En dépit de ces disparités, un thème s’impose, celui de la solitude subie ou désirée, que la raison en soit la misère, la douleur, la folie, la maladie, l’approche de la mort, la perte ou le rejet de l’amour. On sait que Sartre s’est inspiré de ces Cahierspour écrire La Nausée et exprimer la solitude existentialiste. Ici, le thème est reflété par toute une palette de sujets et de genres qui s’annoncent, s’entrecroisent, se complètent et parfois se repoussent : ce sont tantôt des tableaux de la vie parisienne, principalement des quartiers pauvres ; tantôt des souvenirs d’enfance ou de lectures ; tantôt des fresques historiques souvent empruntées à « l’automne du Moyen Âge », comme la vie de Charles VI dit « le Fou », l’évocation de Charles le Téméraire ou encore la tapisserie de La Dame à la licorne.
La combinaison de ces trois sujets avec le thème de la solitude dessine moins un fil conducteur qu’un réseau de correspondances à la manière de Baudelaire, « […] Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité […] ». Telle est l’âme de Malte où Rilke se débat comme à l’intérieur d’un double de lui-même. Mais ce tunnel d’angoisse que sont Les Cahiers finira par déboucher sur un cri qui résonne comme l’appel d’un rescapé de la noyade : « Qui, si je criais, m’entendrait parmi les anges / Et leurs légions ? » Ainsi éclatent les premiers vers glorieux des Élégies commencées à Duino en 1912. Rilke a trouvé un nouveau souffle, un nouveau ton qui n’est plus celui du poids des choses mais qui, invoquant à la fois anges et démons, va mener à la lumière. « Dans les Élégies, la vie redevient possible », écrit-il à son traducteur polonais Witold von Hulewicz. Mais Malte Laurids Brigge, sombre, titubant, accablé, fut le véritable passeur.
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Écrit par
- Pierre DESHUSSES : traducteur
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Autres références
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- 3 477 mots
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