LES CANTOS, Ezra Pound Fiche de lecture

Ezra Pound (1885-1972) demeure l'un des plus grands poètes de notre temps. Il entreprit la rédaction de son grand œuvre, Les Cantos (1954), en 1915. On peut ajouter que, dès 1906, il songeait à un ouvrage épique. Sa biographie nous révèle que le nom de Milton, auteur du Paradis perdu, fut évoqué alors en dépit de la haine farouche de Pound à l'égard du poète puritain. T. S. Eliot note la réaction passionnelle de l'écrivain américain contre l'éducation religieuse de sa jeunesse et la qualifie de « préjugés post-protestants ».

Une épopée aux sources de l'histoire

Les Cantos font songer en effet à une sorte d'anti-Paradis perdu où le paganisme et le confucianisme serviraient d'antidote au judéo-christianisme. Ainsi l'évocation de la descente aux Enfers (d'après le onzième livre de L'Odyssée), qui inspire le premier canto, forme une antithèse frappante avec l'eschatologie puritaine de l'enfance de Pound. On y voit Pound partir en quête des rites antiques qui forment l'héritage culturel d'une Europe ancienne et font cruellement défaut au Nouveau Monde. Selon lui, la seule forme adéquate à l'expression de cette quête littéraire est l'épopée, définie comme un « poème concernant l'histoire ». L'auteur des Cantos, qui rendait le christianisme responsable de l'obscurantisme, entreprend un voyage dans l'histoire du Vieux Monde pour rechercher les racines païennes – les seules qu'il considérait comme authentiques – de l'Europe. Il se félicite de les avoir retrouvées dans les rites agraires d'Eleusis étroitement associés selon lui à la nature et à l'amour, et non à la grâce divine.

Tout au long des Cantos, Pound s'acharne contre les valeurs « W.A.S.P. » (blanches, anglo-saxonnes et protestantes).

En révolte contre la stricte éducation protestante de ses parents, mais empreint lui-même d'un esprit missionnaire identique, il s'est toujours élevé contre le fanatisme antipaïen des bigots qu'il rendait responsables de la corruption du monde moderne. D'où sa critique de saint Clément d'Alexandrie qui trahit ses origines païennes en prêchant le christianisme, et celle de Jean Calvin coupable aux yeux du poète d'avoir favorisé l'essor de l'éthique capitaliste. Pound accuse l'Ancien Testament d'être à l'origine de l'esprit mercantile qu'il oppose aux valeurs de l'Antiquité : il assimile la conception de la création ex nihilo à l'usure, qui elle aussi croît de rien – accroissement contre nature.

À cette critique de notre culture, Pound oppose la pensée chinoise qui, selon lui, reste fidèle à la nature. C'est ainsi qu'il va tenter de comparer l'incomparable, en rapprochant la philosophie de Confucius des rites agraires éleusiniens. Les références directes à « Kung » (Confucius) et « Éleusis » jouent ainsi un rôle majeur et complémentaire dans Les Cantos. Le confucianisme, si vivement exprimé dans le canto XIII (souvent considéré comme le fondement de l'éthique du recueil), prône la vie avant la mort, et repose sur une moralité qui ignore le péché. Il s'agit d'une philosophie éclairée, en lutte contre la superstition, plutôt que d'une religion – à moins que l'on entende le mot « religion » dans son sens étymologique, à savoir « qui relie ».

Le choix du confucianisme dans la lutte anti-judéo-chrétienne que mène Pound n'est pas fortuit, mais dérive d'une longue tradition sinophile européenne qui – à travers Bayle, Leibniz ou Voltaire – sut avoir recours à la pensée chinoise pour renverser les valeurs établies du christianisme.