LES CARACTÈRES (J. de La Bruyère) Fiche de lecture
Les Caractères et mœurs de ce siècle de Jean de La Bruyère (1645-1696) ont été publiés en 1688 dans un même volume, à la suite des Caractères moraux de Théophraste (auteur grec du ive siècle av. J.-C.), dont ils constituent une version moderne. Rapidement, on vit que le profil bas adopté par l'auteur cachait un ouvrage original, tout entier porté à décrire, satiriser, juger et mettre en débat les grands sujets du temps, tout en respectant la propension du genre à parler des valeurs universelles. Devant le succès rencontré, La Bruyère ajouta de nombreux textes originaux, interpola les fragments, si bien que les éditions se succédèrent jusqu'en 1694.
Une composition fragmentaire
L'édition finale est composée de seize chapitres. À l'intérieur de chacun d'eux, les fragments sont numérotés. Après avoir défini dans sa Préface et dans sa première partie (« Des ouvrages de l'esprit ») son projet et son esthétique, et insisté dans sa deuxième partie (« Du mérite personnel ») sur la vertu individuelle des hommes et des héros (comme le prince de Condé dont il fait le portrait), La Bruyère classe la société et les passions morales et sociales par thèmes, par lieux, par entités, par groupes sociaux ou par phénomènes : les femmes (livre III), le cœur (livre IV), la société et la conversation (livre V), les biens de fortune (livre VI), la ville (livre VII) et la cour (livre VIII), les Grands (livre IX), le souverain et la république – c'est-à-dire l'État – (livre X), l'homme (livre XI), les jugements (livre XII), la mode (livre XIII), les usages (livre XIV) et la chaire (livre XV), pour conclure avec une déclaration religieuse destinée à donner toutes les manières de censurer les « esprits forts » et de convaincre le lecteur de l'existence de Dieu (livre XVI).
Selon qu'on insiste ou non sur ce dernier chapitre (dont la dernière partie est rédigée pour les dernières éditions), l'ensemble des fragments prend, ou non, un sens apologétique : contre les vanités du monde, les erreurs de l'amour-propre, les travers de la mode, Dieu est le seul objet qu'il s'agit de révérer, aux antipodes de l'intérêt personnel et de la vaine recherche des apparences trompeuses. L'argumentation antilibertine, véritable accumulation de preuves théologiques (parfois contradictoires ou dépourvues de cohérence théorique), serait alors le dessein du livre, conçu a posteriori par un auteur vieillissant au contact des écrits de Pascal, de Bossuet, de Bourdaloue, voire de Descartes et de bien d'autres théologiens, philosophes et moralistes du xviie siècle. Il aurait donc fallu observer le monde, les mensonges humains et les conduites fautives pour enfin approcher la vérité simple et ingénue, fuir la fiction et la fable, et se tourner vers la perfection de Dieu.
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
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