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LES CARACTÈRES (J. de La Bruyère) Fiche de lecture

La Bruyère moraliste

Mais si La Bruyère a tant marqué l'horizon des Lettres et des salons de son temps, comme il a séduit le monde littéraire qui a suivi, c'est surtout pour son habileté à faire le tableau composite d'une société bigarrée. Comme La Rochefoucauld dans ses Sentences et Maximes morales (1664), le moraliste décrit, organise, ironise et dénonce les injustices et les excès. C'est sa fonction. Toutefois, il ne transforme rien, ni ne veut réformer. Tourné vers un idéal de société et de vertu passées, il regrette avant tout un monde de paix, où tout était réglé, où les bourgeois ne franchissaient pas les limites sociales pour parvenir, où les marchands, les fermiers généraux et les « traitants » n'étaient pas soutenus par le pouvoir, où chacun enfin était à sa juste place. Devant les changements politiques, moraux et financiers que connaît le royaume, La Bruyère note et censure, en toute sagesse. Il n'est pas question pour lui d'agir, au risque, comme le pensait Montaigne, de tout ruiner. La Bruyère s'en tient aux manières, aux comportements, à la mise en texte des misères et des scandales, et laisse le lecteur prendre son parti, grâce aux blancs que la mise en page introduit.

L'écriture, disposée en fragments plus ou moins longs, est ainsi propre à la lecture solitaire et à la déclamation commune. Elle fournit des thèmes à la conversation, des exemples aux auteurs et aux moralistes, et des raisons de sourire et de débattre. Les Caractères sont une rhapsodie, comme on disait à l'époque, une marqueterie de genres : portraits, jugements moraux, historiettes, nouvelles, maximes, pensées, essais, canevas, tableaux, petites plaidoiries. Diversité, singularité des cas traités par la littérature, expression ciselée des ridicules sociaux, les paragraphes de La Bruyère ne constituent pas des traités sur l'essence de l'homme. Ils manifestent une attitude honnête devant des comportements ridicules organisés en galeries littéraires infiniment sociales : « Arrias a tout lu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. » Pour guider le lecteur vers la vertu, il faut donc que les réflexions couchées sur le papier aient le feu, le tour et la vivacité propres à dire la folie du monde, qu'elles soient véritablement travaillées, comme on travaille une pièce, en artisan : « C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule : il faut plus que de l'esprit pour être auteur. » (Les Caractères, livre I, 3).

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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