LES CHANTS DE MALDOROR, Lautréamont Fiche de lecture
Une phénoménologie ironique
Revisitant les mythes, les religions et les littératures (depuis le théâtre de Corneille jusqu'aux romans-feuilletons de Paul Féval), empruntant aux sciences naturelles leur pouvoir de classification et de métamorphose, Isidore Ducasse, dont on sait si peu de choses sous ce nom magique de Lautréamont à peine transposé d'Eugène Sue, propose à sa façon l'autre phénoménologie du xixe siècle : on commence à le lire comme tel, comme une œuvre sans nom, sans rien savoir de celui qui la signe, en Belgique et en France, avant la Première Guerre mondiale.
La lecture des Chants de Maldoror est en soi un événement historique, qui paraît relever de la même phénoménologie, l'esprit impersonnel de l'œuvre (« La poésie doit être faite par tous, non par un ») venant s'identifier aux ruptures décisives de la modernité. Par Louis Aragon, André Breton découvre en 1917 ce livre qui devient, en peu de temps, l'emblème de toute une avant-garde ; le surréalisme le place au plus haut, revendiquant jusque dans ses ruptures ou ses querelles internes « Lautréamont envers et contre tout » (janvier 1927). L'écrivain et critique Rémy de Gourmont (1858-1915) avait traqué portraits de famille et actes de naissance ; le tout jeune Henri Michaux « se croit Maldoror » en prenant la plume et dirige un numéro de revue, dès 1925, consacré au Cas Lautréamont. Malraux s'acharne à établir des variantes des Chants ; Cendrars exige une édition nouvelle (La Sirène, 1920), et Soupault affirme son indépendance en proposant la sienne (éd. du Sans Pareil, 1925). La suite est liée, plus étroitement que pour tout autre texte, à l'histoire conflictuelle et vivante de la littérature du siècle : édition collective des Œuvres complètes par les surréalistes en 1938 (chez G.L.M.) avec une Préface de Breton ; édition historique, après-guerre, chez José Corti (1953) accompagnée de huit Préfaces différentes, de Genonceaux à Blanchot ; première édition de poche établie par Maurice Saillet en 1963, l'année même où paraît, aux éditions de Minuit, Lautréamont et Sade de Blanchot, « avec le texte intégral des Chants de Maldoror ». Accompagnant la multiplication, par la suite, des éditions savantes, la place des Chants dans la pensée de la littérature et de l'écriture, la fonction de cette phénoménologie émancipée et ironique sont au centre des débats des années 1960, avec les commentaires, succédant aux explorations de Bachelard ou Blanchot, de Marcelin Pleynet, Julia Kristeva, Philippe Sollers, que viennent renforcer les hommages de Gracq ou de Le Clézio. « Ouvrez Lautréamont, écrit Francis Ponge, et voilà toute la littérature retournée comme un parapluie ! »
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
Classification
Autres références
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