LES CHÂTIMENTS, Victor Hugo Fiche de lecture
« Ego Hugo »
Réputés datés, répétitifs, grandiloquents, Les Châtiments concentrent sur eux une bonne part des critiques adressées à Hugo. Pourtant, si certains poèmes souffrent de la lourdeur et de l'emphase inhérentes à la forme pamphlétaire, d'autres sont d'incontestables chefs-d'œuvre, dans des registres très différents. Car l'engagement ici, loin de brider la verve poétique de l'auteur, lui a offert l'occasion de donner sa pleine mesure, passant du sérieux au grotesque, du burlesque au tragique, empruntant à des genres aussi variés que la satire bien sûr (« Quelqu'un »), mais aussi la poésie lyrique (« Aube »), le roman (« Souvenir de la nuit du 4 »), le théâtre (« Tout s'en va »), la chanson (« Le Sacre »), la fable (« Fable ou histoire »), le récit biblique (« Sonnez, sonnez toujours... »), l'épopée (« L'Expiation »), orchestrant enfin une véritable polyphonie où retentissent, outre la voix, dominante, du poète, celles de l'empereur, de ses courtisans, de ses victimes, du peuple, des prêtres, etc.
Comme le confirmeront les deux recueils suivants – Les Contemplations et La légende des siècles –, Les Châtiments témoignent de la nouvelle dimension prise par l'écrivain. On peut certes ironiser sur la disproportion entre la violence de la dénonciation et la réalité du pouvoir de Napoléon III, lequel ne méritait, en somme, ni cet excès d'honneur ni cette indignité. Mais c'est méconnaître les enjeux essentiels de l'œuvre. Non seulement parce que, au-delà du cas particulier, c'est la tyrannie en général qui est visée, mais aussi et surtout parce que l'exil – à certains égards plus voulu que contraint – doit être compris comme un événement avant tout d'ordre littéraire. Peu importe au fond l'exagération : en se bannissant lui-même, Hugo devenait LE poète selon ses vœux : prophète, visionnaire, voyant. Au moment où, en France, triomphaient les tenants de l'art pour l'art, il se retirait du monde, lui aussi, mais, afin de voir plus loin, d'embrasser tout l'horizon, et de saisir l'Histoire à bras-le-corps, comme le faisait au même moment Karl Marx en rédigeant Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852). Pour cette raison, de toutes les postures du génial polygraphe, c'est sans doute celle de l'imprécateur de Jersey qui demeure la plus vivante aujourd'hui, « Ego Hugo » en quête – grandiose et désespérée – d'un adversaire à sa mesure : « Si l'on n'est plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même/ Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;/ S'il en demeure dix, je serai le dixième ;/ Et s'il n'en reste qu'un je serai celui-là ! » (Ultima verba )
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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Média
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