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LES CHEVAUX DE FEU, film de Sergueï Paradjanov

Un film métaphysique et incantatoire

Paradjanov ne filme pas uniquement une légende des Carpates. Il la stylise dans une écriture à la fois charnelle et irrationnelle. Loin du réalisme, ce film est unique dans la production soviétique de l'époque. Dans le contexte du « dégel » des années 1960, il restitue la magie des rites sacrificatoires paysans. Il réhabilite, de manière audacieuse dans l'U.R.S.S. post-stalinienne, le folklore d'une terre oubliée des hommes et des dieux. À l'instar du réalisateur hongrois Miklos Jancsó, Paradjanov part à la découverte de traditions ancestrales et restées intactes.

Mêlant symbolisme et paganisme, il construit son film comme un tableau. Le folklore est ici au service de l'esthétique. Ses images brodent des formes d'arabesque dans une surenchère baroque, accentuée par des effets de contre-plongée, de surabondance de zooms et de cadrages en surimpression. Cette charge filmique met plus amplement en relief le sentiment religieux, la superstition et la sorcellerie. Les forces naturelles semblent avoir ainsi raison des sentiments. Cette splendeur naturelle devient antinomique du malheur des hommes. La colorisation du film déréalise les personnages jusque dans leur maquillage, le rouge de Venise contrastant avec la blancheur des neiges et les icônes se muant en peinture abstraite. Paradjanov appuie ces effets avec la bande son qui fait place à des chorégraphies mélangées de voix hommes/femmes. Les dialogues sont rares, laissant place à une fresque où la caméra s'attache aux détails de la matière (troncs d'arbres, bougies...). Le spectateur se trouve immergé dans un flot d'images. Ce parti pris esthétique vient contrecarrer l'académisme du cinéma soviétique ambiant. L'apparition finale, en plein écran, de chevaux de sang, messagers d'une vie qui s'enfuit, sera perçue comme un défi par les autorités soviétiques de l'époque. Elles ne s'y tromperont pas puisque le film suivant Sayat Nova, réalisé en 1968, sera interdit : Paradjanov sera emprisonné 6 ans après un procès à huis-clos à Kiev et une condamnation pour trafic d'œuvres d'art et homosexualité.

Les Chevaux de feu n'est ni un documentaire, ni la mise en scène d'une légende folklorique mais un hymne aux forces obscures, en porte-à-faux avec l'ordre rationnel prôné en U.R.S.S. Sayat Nova célèbre l'impossible amour du poète Sayat pour une princesse géorgienne. Il réhabilite cette fois la renaissance arménienne grâce à une caméra immobile, loin du vertige des Chevaux de feu. À travers ces deux films insolites, Paradjanov revendique un droit à la différence.

— Kristian FEIGELSON

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Écrit par

  • : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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