LES CHIMÈRES, Gérard de Nerval Fiche de lecture
Le 10 décembre 1853, Alexandre Dumas, présentant « El Desdichado », l'un des sonnets que Gérard de Nerval (1808-1855) lui avait confiés, prophétisait dans un article désinvolte sa mort littéraire. Les Chimères, suite de douze sonnets qui clôt Les Filles du feu (1854),sont la réponse à cette maladroite « épitaphe » d'un poète blessé et malade qui, un an plus tard, allait se suicider.
Une « rêverie supernaturaliste »
Dans son introduction aux Filles du feu, dédicacée « à Alexandre Dumas », Nerval justifie sa « folie » de « [s]e croire poëte » en ajoutant in extremis au recueil ces « sonnets composés dans [un] état de rêverie “supernaturaliste” ». Rédigés au milieu de ses hallucinations (depuis la première crise en février-mars 1841 jusqu’à celle d'août-septembre 1853), ces poèmes, qui succèdent aux sept nouvelles des Filles du feu et leur font écho, mêlent l'autobiographie à la fable. Ils concentrent les vies antérieures de Nerval, ses « amours perdues » (la mort de Jenny Colon en 1842), son Voyage en Orient (1843), ses lectures et son « mysticisme » (titre des sept sonnets repris aux Petits Châteaux de Bohême, 1853).
Une chimère désigne une illusion et aussi un monstre fabuleux à tête de lion, ventre de chèvre, queue de dragon, qui crache des flammes. En alliant ce double sens, l'auteur, très conscient de ses caprices idolâtres (femmes, mythes et mots) crée ses Chimères poétiques en tentant d’associer dans un même texte ses visions païennes et chrétiennes.
Queue de dragon ajoutée au corps des sept nouvelles,Les Chimères illustrent cette volonté de rassembler les fragments de son mythe personnel et de sa personnalité schizoïde. Composés en alexandrins et en rimes embrassées et croisées, mariant la syntaxe la plus concise à la plus pure clarté prosodique, ces sonnets traditionnels sont des « diamants noirs » impeccablement ciselés dont la couleur néo-païenne et la perfection formelle annoncent le Parnasse. Dans cet ordre cristallin, le poète introduit son désordre amoureux, religieux et mental, en jouant de l'exclamation, des points de suspension, de la juxtaposition, de la métonymie, du symbole, du contraste, du paradoxe ou de l'oxymore. Son « soleil noir » fait miroiter ses passions romantiques et ses tentations de fusion des différentes religions.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
Classification
Autres références
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NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)
- Écrit par Pierre-Georges CASTEX
- 2 628 mots
Au-delà des épisodes du destin tourmenté qu'évoque encore l'énigmatique Pandora, un récit en prose achevé quelques semaines avant de mourir,Les Chimères, suite de sonnets composés dans un état de « rêverie surnaturaliste », condensent en vers intemporels l'expérience sublimée du poète : aux...