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LES CHIMÈRES, Gérard de Nerval Fiche de lecture

La quête d’Orphée

Les Chimères se déclinent en douze étapes. Les six premiers sonnets invoquent l'originelle plénitude d'une présence au monde dans la réminiscence de ses amours et du paganisme ancien. En contrepoint, la suite des cinq sonnets du « Christ aux Oliviers » déplore l'absence divine, en écrivant le contre-évangile d'un Christ crépusculaire abandonné de son Dieu. Si le premier et fameux sonnet (« El Desdichado ») dramatise la tragédie du poète sous les traits d'un chevalier « déshérité », allusion à la fin'amor des troubadours, le dernier (« Vers dorés ») sublime ses amours lointaines dans la révélation d'un Dieu syncrétiste : l'heureuse présence des déesses et des dieux païens et la douloureuse absence du Dieu chrétien se réconcilient dans l'intuition, inspirée de Pythagore, d'un « Dieu caché » « sous l'écorce des pierres ».

Dans le théâtre intérieur de ses Chimères, Nervalpoursuit les fantômes des femmes réelles qu'il a aimées et perdues (sa mère, l'actrice Jenny Colon, une jeune brodeuse napolitaine...). Et il les superpose aux figures plurivoques de déesses grecques et latines : « Myrtho », la Vénus païenne ; « Delfica », la sibylle latine ; « Artémis », la déesse grecque de la nature vierge. Ces archétypes sont à leur tour détournés vers d'autres métonymies de la symbolique chrétienne comme la « rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule »... Le syncrétisme amoureux de Nerval trouve la femme rédemptrice, l'épouse sacrée, sœur initiatrice, amante et mère, entre « les soupirs de la sainte et les cris de la fée », dans la Vénus antique et la Vierge chrétienne.

De même, le poète s'invente une généalogie inspirée des mystères païens à travers des héros mythologiques : le chevalier Ivanhoé ou Énée traversant les Enfers (« El Desdichado ») ; le dieu solaire égyptien du renouveau printanier préfigurant le messie (« Horus ») ; le mal-aimé de la Terre et frère du coupable Caïn, « Antéros » ; « Le Christ aux oliviers » pleurant un Dieu mort ; l'oracle annonçant le Verbe des âges futurs (« Vers dorés »).

Enluminées de ses voyages solaires (Italie, Grèce, Égypte) et de ses multiples lectures (fables égyptiennes et grecques, dictionnaires de mythologies, mystères orphiques, cartes du tarot, métempsycose, alchimie, romantisme allemand de Goethe à Jean Paul, etc.), Les Chimères évoquent la descente et la remontée des Enfers d'un Orphée mélancolique en quête d'un âge d'or : l'alchimie syncrétiste des vers noirs, blancs, puis rouges conduit aux « vers dorés » où le poète-voyant rêve d'une terre de rédemption. Ouvrant la voie au symbolisme et au surréalisme, les douze sonnets de ce « livre infaisable », composés dans le plus grand déséquilibre intérieur, sont un sommet de la poésie universelle.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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Autres références

  • NERVAL GÉRARD DE (1808-1855)

    • Écrit par
    • 2 628 mots
    Au-delà des épisodes du destin tourmenté qu'évoque encore l'énigmatique Pandora, un récit en prose achevé quelques semaines avant de mourir,Les Chimères, suite de sonnets composés dans un état de « rêverie surnaturaliste », condensent en vers intemporels l'expérience sublimée du poète : aux...