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LES CHOSES QU'ON DIT, LES CHOSES QU'ON FAIT (E. Mouret)

La confusion des sentiments

Le titre du film, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, est-il une description du cinéma parlant, des mots et des actes ? Si, depuis toujours, Emmanuel Mouret scande ses histoires avec les conversations de ses personnages, il compare ici, en croisant les amours incertaines de huit trentenaires, leurs « déclarations officielles » et la réalité de leurs actions. Ce décalage est-il tragique ou comique ? C’est peut-être cette ambiguïté qui fait la force de ce nouveau ballet de sentiments. Mais là n’est pas son seul sujet. Comme dans tous ses films, l’enjeu érotique est fort et masqué. Dans ce cinéma extrêmement adulte, le scénario se tient très loin de l’innocence sentimentale. Si la critique a parfois utilisé le mot « marivaudage » avec un peu de condescendance, c’est qu’elle a oublié ce qu’il peut y avoir de sérieux et de tortueux dans les comédies de Marivaux. C’est ainsi que Mouret décrit l’excitation subtile qui peut naître quand, sur le ton de la confidence amicale, en toute innocence, un(e) tel(le) raconte à un(e) tel(le) une intrigue passée, avec progressivement de plus en plus de détails. L’inoffensive description devient (involontairement ?) un piège séducteur. Fidèle à l’esprit de Diderot, Mouret raisonne sur les passions et entrelace les récits. Accumulation baroque de narrations, de décors, de paysages aussi. Et de musiques : Purcell, Mozart, Chopin, Tchaïkovski, Poulenc, Satie. On pourrait juger ces commentaires musicaux trop abondants, mais ils contribuent en fait à l’intensité d’un récit démultiplié. La complexité est aussi celle de la mise en scène : les plans-séquences de Mouret sont inséparables du côté acrobatique d’un scénario qu’il a écrit seul, comme à son habitude.

Le talent des comédiens compte également. Il faudrait prendre un par un les huit acteurs principaux au générique du film. On passe ainsi de couples qui se forment à l’insu même des futurs amants, de manipulations diaboliques fabriquées par le dépit amoureux et, comme dans Mademoiselle de Joncquières, rendues vraisemblables par la fermeté du récit, à des variations inattendues sur les quiproquos, les adultères, les regrets amoureux et les impasses sentimentales. À propos d’une phrase d'Éric Rohmer (« C'est quand le cinéma est devenu parlant qu'il est devenu muet »), Emmanuel Mouret expliquait en 2015 : « Plus les personnages s'expriment, explicitent leurs désirs, plus le spectateur prend conscience de leurs mensonges, de leurs contradictions. » Il n’y a pas de « méchants » dans les films de Mouret. Ses observations de l’animal humain poussent le cinéaste à révéler ce que cachent des êtres apparemment tranquilles, qui ne crient pas et demeurent pétris de bonnes intentions et de bienveillance scrupuleuse : de violentes tempêtes.

— René MARX

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Média

<em>Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait</em>, E. Mouret - crédits : Moby Dick Films

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, E. Mouret