LES COMPOSITRICES EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE (F. Launay)
Les compositeurs oubliés dont la valeur ainsi que l'ampleur de la renommée semblaient, à leur époque, devoir défier les années se comptent par centaines. À valeur égale, les compositrices sont-elles beaucoup moins reconnues par la postérité ? Oui, jusqu'à une période récente, quand, célèbres de leur vivant, elles disparaissaient de la mémoire collective après leur mort. Les choses changent grâce à un travail de recherche considérable, mais ce n'est pas être de parti pris que de constater qu'aucune d'entre elles, notamment en France, où elles furent particulièrement nombreuses au xixe siècle, n'a atteint le prestige international de Berlioz, Bizet, Gounod, Saint-Saëns ou Massenet, eux-mêmes pourtant tenus par bien des mélomanes pour quantité négligeable face à Beethoven, Wagner ou Verdi. Alors, faut-il réhabiliter La Montagne noire, l'opéra d'Augusta Holmès, quand on se moque du Sigurd d'Ernest Reyer, les symphonies de Louise Farrenc quand on ignore celles de Georges Onslow, La Esmeralda de Louise Bertin quand on a relégué La Reine de Chypre de Fromental Halévy dans les greniers de l'histoire ?
Sans doute, car on doit au moins juger sur pièces, se demander pour quelles raisons culturelles ou sociales ces compositrices sont restées relativement discrètes sur la scène musicale, tout en y étant plus présentes qu'on ne pourrait croire, quels obstacles spécifiques elles durent surmonter et quel fut leur statut. Florence Launay, qui a consacré une thèse de doctorat à ce sujet (Les Compositrices françaises de 1789 à 1914, université de Rennes-II, 2004), a livré l'ouvrage qu'on attendait, Les Compositrices en France au XIXe siècle (Fayard, Paris, 2006), sur un sujet qui a parfois donné lieu à des simplifications polémiques.
La première partie est consacrée à des approches biographiques : comment devient-on compositrice en France au xixe siècle ? Pour les filles de musiciens ou d'artistes, la chose est relativement naturelle ; pour les femmes issues de l'aristocratie, le statut de l'Ancien Régime, plus favorable à l'égalité des sexes, joue en faveur de l'épanouissement de leurs dons ; en revanche, dans la bourgeoisie, où l'inactivité professionnelle de la femme mariée est conçue comme un critère de réussite, il faut choisir entre célibat et amateurisme de façade.
La mixité de l'enseignement n'étant pas plus de mise au Conservatoire qu'ailleurs, les femmes devront attendre le milieu du siècle pour accéder aux classes d'écriture, où elles réussiront ensuite comme les hommes, naturellement. Le concours de Rome leur sera longtemps fermé, mais la première à vouloir le tenter, en 1902, Juliette Toutain, réclamait la présence d'une femme de chambre, un lieu de repos et des repas séparés des hommes afin de satisfaire aux conditions d'honorabilité dues à son sexe... Lili Boulanger, première femme lauréate, en 1913, se montrera plus pragmatique. Les compositrices eurent ainsi pendant longtemps des professeurs privés (Cherubini, Méhul, Reicha...) qui enseignaient par ailleurs au Conservatoire de Paris. Elles recevaient donc une excellente formation.
L'exercice professionnel de la composition est cependant problématique par nature, quel que soit le sexe. Florence Launay ne cache pas qu'entre un homme épuisant son énergie créatrice en cachetons et leçons diverses pour subvenir aux besoins de sa famille (car le théâtre lyrique, seule source de revenus, est presque inaccessible) et une femme mariée délivrée des tâches ménagères par des domestiques, la seconde position est préférable.
Mais chaque mariage est différent. Le mari de Mel Bonis la fait accéder à la haute bourgeoisie, la trompe mais la laisse composer ; elle prend un amant, culpabilise, et produit ses meilleures œuvres... Aristide Farrenc, en revanche,[...]
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Écrit par
- Gérard CONDÉ : compositeur, musicographe
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