LES CRIMES DU FUTUR (D. Cronenberg)
« Cartographier le chaos »
Comme dans le film de 1970, Cronenberg nous montre le trafic des corps, médical mais aussi crapuleux. Et, comme dans celui-ci, le corps d’un enfant est en jeu et devient objet de trafic. Il s’agit de celui d’un petit garçon assassiné par sa mère, parce que, constatant qu’il ne mangeait plus que du plastique, elle s’effrayait de le voir devenir une « chose ». La première image du film est celle de l’épave d’un bateau échoué près d’une plage, où on découvre le petit garçon en question. L’avenir, et peut-être le présent, pour Cronenberg, est habité par des épaves, des débris.
Ce délire apparent interroge très rationnellement chaque spectateur et l’invite à méditer sur le destin physique de l’humanité contemporaine. Comme le dit Caprice, le personnage interprété par Léa Seydoux, il s’agit de « cartographier le chaos », et cet oxymore est aussi une manière de nommer l’art auquel prétend le duo qu’elle forme avec Saul. « Dressons la carte qui nous guidera au cœur des ténèbres », dit-elle. Et encore : « La table d’autopsie, c’est mon “pinceau”. » Cronenberg a lu Conrad et Lautréamont, deux explorateurs de l’inconscient et de sa part la plus archaïque resurgissant dans notre monde contemporain.
Les Crimes du futur est sombre, bavard, austère, drôle et extrêmement mélancolique. Saul dit à l’un de ses interlocuteurs : « J’ai peur de tout. » Ce qui rebutera une majorité du public, très probablement, et touchera ceux qui saisiront ce qu’un cinéaste né en 1943 peut nous dire de la douleur, de l’intérieur du corps, des aliments qui deviennent un problème et, plus largement encore, de toutes nos hantises. Dans ce film, on détruit les enfants quand ils ne mangent plus que du plastique, avant de découvrir, grâce au scalpel, instrument qui obsède le cinéaste, ce que cachent leurs organes mutants, tatoués de têtes de mort. Mais le récit révèlera que ces tatouages sont eux-mêmes le résultat d’une fraude dérisoire. Kristen Stewart, qui opère les tatouages à l’intérieur du corps de l’enfant, est une grande actrice, bafouillant magnifiquement son rôle de névrosée de l’avenir. Quant à Cronenberg, il est cruel, irrespectueux et grand cinéaste.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
Classification
Média