LES DÉSAXÉS, film de John Huston
Les temps changent
La traduction de misfits par désaxés attribue à tort une cause interne au déséquilibre des personnages, quand le titre original vise leur manque d'adéquation au monde qui les entoure (misfit = « inadapté »). Ces hommes et ces femmes ne sont pas malades, ils accomplissent des actes qui avaient du sens avant que le passage du temps les rende obscènes ou désuets. Chasser des chevaux sauvages ne rime plus à rien. « Autrefois, les parents en offraient un à leurs enfants pour Noël, aujourd'hui les enfants veulent un scooter », dit Guido. Croire au grand amour n'a plus de fondement : « rien ne dure », constate Langland, et lorsqu'on voit Roslyn sur les marches du tribunal avec son premier mari, il y a un parcmètre entre eux deux pour le confirmer. La propension des hommes mariés à lui faire des avances amusait Marilyn dans Sept Ans de réflexion (The Seven Year Itch, Billy Wilder, 1955), mais le boulevard a laissé place au drame et leur comportement est devenu écœurant... Bien que la question ne soit pas évoquée directement, les gestes des cow-boys du film nous renvoient à la fondation même des États-Unis sur un socle d'Indiens massacrés et de bisons décimés. « Tout est plein de sang, tout en est barbouillé », dira Langland... Le film lui-même apparaît un peu décalé, avec ses dialogues systématiquement brillants. Quel crédit accorder à ces cow-boys existentialistes et ces go-go dancers kierkegaardiennes qui réfléchissent sans répit au sens de la vie, quand ils ne déshabillent pas leurs personnalités respectives comme des personnages de Bergman ? Par ailleurs John Huston n'hésite pas à les montrer sous un mauvais jour : Langland vole un baiser à Roslyn au moment de la coucher parce qu'elle a trop bu, alors que le héros de La Blonde ou la Rousse (Pal Joey, George Sidney), placé quatre ans plus tôt dans la même situation, en ressentait l'envie mais s'abstenait de passer à l'acte... L'intensité fébrile que mettent les comédiens à jouer nous rend cependant les personnages attachants : il faut voir Clark Gable se rouler par terre en hurlant désespérément des prénoms d'enfant, ou Marilyn embrasser un arbre ou fondre en larmes devant un simple numéro de rodéo... « Arthur Miller avait écrit pour elle une romance qui se termine bien, et jouer cette histoire la rendait encore plus malheureuse », dit Eli Wallach dans le DVD consacré au tournage des Misfits... Le film, c'est vrai, se termine à peu près bien. Il s'était ouvert sur l'image d'une dépanneuse, et tout le monde suivra le conseil de Roslyn après que les âmes et les cœurs auront bénéficié de quelques réparations : « Contentons-nous de vivre »...
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Laurent JULLIER : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
-
GABLE CLARK (1901-1960)
- Écrit par Joël MAGNY
- 1 731 mots
- 1 média
...Pourtant, c'est grâce à un autre aventurier du cinéma, John Huston, que l'acteur allait tourner dans un dernier chef-d'œuvre, le mythique Misfits (Les Désaxés, 1961), avec Marilyn Monroe et Montgomery Clift. Mythique, parce que ces trois stars allaient disparaître peu après le tournage,... -
MILLER ARTHUR (1915-2005)
- Écrit par Liliane KERJAN
- 1 641 mots
...condisciple de l'université du Michigan, Mary Slattery, de 1940 à 1956, puis avec Marilyn Monroe, de 1956 à 1961 – pour qui il écrit le scénario des Misfits (Les Désaxés), tourné en 1961 par John Huston avec Clark Gable et Montgomery Clift, union qui lui fournira de surcroît l'argument d'... -
MONROE MARILYN (1926-1962)
- Écrit par Christian VIVIANI
- 1 601 mots
- 2 médias
...Le Milliardaire (Let's Make Love, George Cukor, 1960), dont le tournage est marqué par la liaison de Marilyn et de son partenaire Yves Montand, la situation empire sur le tournage cauchemardesque des Désaxés (The Misfits, 1961), où Marilyn Monroe retrouve John Huston. Ce scénario qu'Arthur Miller...