LES ÉCRIVAINS DEVANT L'IMPRESSIONNISME, Denys Riout Fiche de lecture
Si les principaux peintres à qui l'on doit la naissance de la peinture moderne en France – Paul Cézanne, Edgar Degas, Édouard Manet, Claude Monet, Berthe Morisot, Camille Pissarro, Auguste Renoir, Alfred Sisley – commencent à renouveler la pratique et l'esthétique picturale au début des années 1860, ce n'est qu'à l'occasion de l'exposition de la Société anonyme des artistes en 1874, boulevard des Capucines, que le critique du Charivari, Louis Leroy lance, dans un article virulent, le terme d'« impressionnisme » à propos du tableau de Monet Impression, soleil levant. À cette date, alors que nombre d'œuvres importantes avaient déjà été produites, le public est encore majoritairement hostile aux impressionnistes, et ce n'est que lorsque apparaît le néo-impressionnisme en 1886 qu'il commence à accepter la tendance précédente. De 1874, date de la naissance officielle du groupe impressionniste, à 1886, date de sa dernière exposition, des écrivains comme Stéphane Mallarmé, Émile Zola, Joris-Karl Huysmans, Jules Laforgue, Octave Mirbeau, Émile Verhaeren, Guy de Maupassant, ainsi que des critiques d'art ont défendu, régulièrement pour certains d'entre eux, ce qu'ils nommaient l'« art contemporain », milité vaillamment contre le rire de la foule, le mépris des artistes en place et le refus continuel des Salons d'exposer des toiles résolument modernes. C'est un choix de leurs principales interventions qu'a opéré l'historien d'art Denys Riout en 1989 en rassemblant, dans Les Écrivains devant l'impressionnisme, les textes de vingt-deux écrivains et critiques d'art, textes pour la plupart rédigés entre 1874 et 1886 (Édouard Manet de Zola datant de 1868).
Le combat commun des peintres et des écrivains
L'académisme régnait, les Salons des lieux institutionnels étaient tout-puissants, les peintres et les sculpteurs qui ne suivaient pas les codes plastiques en vigueur se voyaient tout simplement écartés de la vie artistique officielle. Le réseau des galeries ou de lieux d'exposition publics indépendants des circuits officiels étant inexistant, il était impossible pour un artiste de montrer son travail. Si d'autres enjeux et d'autres procédures avaient cours dans le monde littéraire, la plupart des écrivains qui ont soutenu le groupe impressionniste rencontraient les mêmes difficultés. Le fait que ces écrivains étaient eux-mêmes engagés dans un travail artistique en phase avec la modernité n'était sans doute pas étranger à leur volonté de défendre dans l'impressionnisme une sorte d'équivalent pictural de leurs fictions littéraires. C'est ainsi que Huysmans, par exemple, fit le rapprochement entre la Nana de Manet – ce dernier étant considéré comme le chef de file des impressionnistes alors qu'il ne fit jamais partie du groupe – et deux romans de Zola, L'Assommoir et Nana. Toutefois, ce ne sont pas de simples raisons stratégiques qui poussèrent les écrivains à faire l'éloge du groupe impressionniste, mais la conscience qu'ils avaient d'un projet commun, celui de représenter le monde contemporain – sujet banni dans les écoles d'art comme dans les lieux d'exposition agréés par les instances officielles. Ainsi mirent-ils en avant l'idée de modernité chez les impressionnistes, dans leurs écrits, – une modernité déjà théorisée, mais sous un autre angle, par Charles Baudelaire (Le Peintre de la vie moderne, 1863) – ainsi que les nouveaux procédés plastiques accompagnant cette vision picturale inédite de la société ou de la nature.
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Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
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