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LES ÉGAREMENTS DU CŒUR ET DE L'ESPRIT, Claude-Prosper Jolyot de Crébillon Fiche de lecture

Longtemps le romancier des Égarements a été nommé Crébillon fils (1707-1777). La célébrité d'un père dramaturge et membre de l'Académie française, Prosper Crébillon (1674-1762), ne semblait pas pouvoir être comparée avec celle d'un auteur de récits romanesques, la dignité de l'alexandrin et des intrigues anciennes mise en balance avec la trivialité de la prose et d'aventures mondaines.

Dès sa première nouvelle, Le Sylphe (1730), Claude Prosper de Crébillon s'attache moins à suivre l'affrontement de passions que les arabesques insidieuses du désir dans le cadre de la mondanité contemporaine. Il s'impose dans les années qui suivent comme le peintre d'une modernité superficielle. Parmi les formes chargées d'exprimer les incessants glissements du sentiment au fil du temps, le roman épistolaire et les mémoires à la première personne plongent le lecteur dans la conscience d'un personnage livré aux incertitudes du cœur et aux contradictions de l'amour-propre. Les Lettres de la marquise de M*** au comte de R*** (1732) illustrent la première forme, et Les Égarements du cœur et de l'esprit, sous-titrés « Mémoires de Monsieur de Meilcour », la seconde. La première partie en paraît en 1736, les deuxième et troisième en 1738, laissant vainement attendre une suite, jamais publiée. C'est à son père « Monsieur de Crébillon de l'Académie française » que son fils « très humble et très obéissant » dédie cette marque de ses « faibles talents ».

L'école du libertinage

La Préface annonce « l'histoire de la vie privée, des travers et des retours d'un homme de condition », entrant dans un monde dont il ne connaît pas les règles et les codes, et tombant dans le libertinage à la mode. Corrompu, il va devenir corrupteur, avant d'ouvrir les yeux sur la vanité de telles séductions. Cette Préface propose donc un sommaire de l'intrigue : les parties I et II racontent les « premières amours » du jeune Meilcour, les suivantes ses « égarements » proprement dits. « On le verra enfin dans les dernières, rendu à lui-même, devoir toutes ses vertus à une femme estimable. » Le narrateur commence par se mettre en scène comme un fils de famille auquel ne manquent ni l'éclat du nom ni la fortune. Il découvre la société aristocratique qui a poussé jusqu'au raffinement les contraintes de la vie de cour, en les vidant de tout contenu moral. La politesse, la maîtrise du langage et des manières sont l'affirmation d'un élitisme social, tout en masquant le cynisme du plaisir. Meilcour ne comprend que progressivement que la galanterie affichée recouvre la goujaterie la plus brutale. Il prétend séduire une amie de sa mère, la marquise de Lursay, mais se montre incapable d'interpréter les signes de l'ancienne coquette et de prendre des initiatives. Parallèlement il fait la connaissance à l'Opéra d'une jeune fille de son âge, Hortense, dont il ne sait rien. Il mène donc de front une séduction maladroitement libertine et une intrigue sentimentale.

Ce sont les interventions d'un petit-maître, rompu aux usages mondains, et de coquettes sur le retour ne se souciant plus du qu'en-dira-t-on, qui lui ouvrent les yeux. Versac n'est pas beaucoup plus vieux que Meilcour, mais il est passé maître dans le maniement des compliments perfides. Il s'offre à être le guide du narrateur : « Ignorer tout, et croire n'ignorer rien ; ne rien voir, quelque chose que ce puisse être, qu'on ne méprise ou ne loue à l'excès ; se croire également capable du sérieux et de la plaisanterie ; ne craindre jamais d'être ridicule, et l'être sans cesse ; mettre de la finesse dans ses tours et du puéril dans ses idées ; prononcer des absurdités, les soutenir, les recommencer : voilà le ton de l'extrêmement bonne compagnie. » Mmes de Senanges et de Mongennes, qui manifestent[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Autres références

  • CRÉBILLON PROSPER (1674-1762) & CLAUDE PROSPER (1707-1777)

    • Écrit par
    • 1 880 mots
    Les Égarements du cœur et de l'esprit donnent la parole à un homme qui raconte sa vie ou, plus exactement, son entrée dans le monde et sa découverte des codes de la mondanité. Le récit se déroule en quinze jours, qui transforment un jeune naïf en un futur roué. Les sollicitations discrètes...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.

    • Écrit par
    • 7 583 mots
    • 5 médias
    ...marqué par le libertinage aristocratique, où l’on rencontre les œuvres de Crébillon fils (La Nuit et le Moment, Les Égarements du cœur et de l’esprit, Les Heureux Orphelins), de Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses), de Louvet de Couvray (Les Amours du chevalier de Faublas). Le pornographique...