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LES ÉMIGRANTS et LES ANNEAUX DE SATURNE (W. G. Sebald)

W. G. Sebald - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

W. G. Sebald

En 1999, la traduction des deux livres publiés en allemand par W. G. Sebald – Les Émigrants (trad. Patrick Charbonneau, Actes sud) et Les Anneaux de Saturne (trad. Bernard Kreiss, Actes sud,) – a suscité en France un très vif intérêt après avoir rencontré aux États-Unis un grand succès. Qualifiés par leur auteur de fictions, ces ouvrages se fondent sur des recherches historiques et autobiographiques. Des photographies en noir et blanc, tirées des archives de W. G. Sebald, sont introduites à l'appui du récit, comme pour rendre le passé présent et ramener les morts à la vie. Ainsi le narrateur des Émigrants va-t-il chercher à reconstituer la vie du docteur Henry Selwyn, de son instituteur Paul Bareyter, de son grand-oncle Ambros Adelwarth et du peintre Max Ferber. Les clichés produits constitueront également des documents censés permettre au lecteur de vérifier l'exactitude d'une description ou la véracité d'un événement. Mais l'existence de l'image suffit-elle à donner au récit le statut d'une vérité intangible ? La représentation d'un carnet manuscrit garantit-elle la nature du récit présenté par l'auteur comme le journal d'Ambros Adelwarth ? L'effet de réel n'est-il pas plus important que l'exactitude des faits rapportés ? Tout au long des Émigrants, l'apparition insistante de Nabokov, filet à papillons à la main, devient comme le symbole de cette nécessaire ambiguïté.

Succession de quatre récits, Les Émigrants mettent en scène des exilés, juifs ou proches d'une famille juive, qui se sont suicidés ou vivent en sursis dans un atelier envahi par la poussière et les objets accumulés. L'identification de l'auteur à ses personnages, et particulièrement à celui du narrateur, est tout aussi complexe que le rapport entretenu par ses textes avec la vérité historique : W. G. Sebald est né en 1944 en Bavière et n'a aucune ascendance juive. Il a émigré en Angleterre. Son départ n'a rien à voir avec le nazisme, mais il est de ceux qui se sentent étrangers partout, jusqu'à l'intérieur de leur propre langue : certaines phrases de Sebald sont écrites « en anglais dans le texte » et en allemand, sans traduction, signe de l'étrangeté indélébile imprimée dans le cheminement de la parole et de la pensée de l'exilé. Tous les personnages évoqués par Sebald attachent une grande importance aux lieux, paysages ou maisons. Pourtant, par obligation ou par choix, ils ne cessent d'être en mouvement dans l'espace, avec ce sens très présent dans la littérature allemande, de la Wanderung, promenade sans but explicite. C'est à travers les changements de lieux, importants ou insignifiants, que se font les rencontres. La mémoire se met en marche. Hanté par les souvenirs de sa propre existence, tout autant par les fantômes de Thomas Browne, Joseph Conrad ou par l'histoire de la fabrication de la soie, qui unit Orient et Occident, le narrateur des Anneaux de Saturne ne sait plus « en quel lieu et en quel temps » il se trouve réellement. « À l'instant où il écrit », il ne sait pas toujours dire ce qui est présent à sa conscience : les étapes de son voyage à pied le long de la côte est de l'Angleterre ou les figures qu'évoque sa randonnée, à travers des signes souvent discrets mais suffisants pour devenir de puissants déclencheurs.

W. J. Sebald ne cesse de s'interroger sur le fonctionnement de la mémoire et sur « les taches d'amnésie » qui dessinent de vastes zones blanches dans le champ de la réminiscence. Ainsi, le narrateur des Anneaux de Saturne regarde un soir la télévision, au moment où la B.B.C. diffuse un documentaire sur Roger Casement, qui avait croisé Joseph Conrad au Congo. Le narrateur s'endort devant la télévision. « J'ai donc tenté ultérieurement, écrit-il, dans[...]

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W. G. Sebald - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

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