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LES ENFANTS DE SATURNE, R. et M. Wittkower Fiche de lecture

À l'instar d'Erwin Panofsky, qui écrivit avec son épouse Dora une de ses études les plus originales, le très érudit Pandora's Box (La Boîte de Pandore), Les Enfants de Saturne est un livre écrit à deux, par Rudolf Wittkower (1901-1971) et par sa femme Margot. L'ouvrage se présente comme une typologie des attitudes psychologiques des artistes, considérées dans leurs caractères communs depuis l'Antiquité jusqu'à la Révolution française. Formé comme Panofsky auprès d'Adolph Goldschmid à Hambourg, émigré en Grande-Bretagne en 1934, où il intègre à Londres comme nombre de ses amis le Warburg Institute, R. Wittkower a apporté une contribution essentielle au thème de la migration des symboles.

Dans l'œuvre imposante de Wittkower, qui fut également une autorité dans le domaine de l'architecture baroque italienne, Les Enfants de Saturne font figure d'une « récréation historiographique ». La formation du thème antique de la mélancolie et son association moderne à l'artiste et à la création, qui avait inspiré des travaux essentiels à Warburg, puis à Panofsky et Saxl, permettent aux auteurs de rassembler une multitude de biographies d'artistes tout en définissant des attitudes récurrentes qui seraient liées à ce motif saturnien central.

Sociologie et psychologie du comportement des artistes

L'immense cadre chronologique que semble annoncer le sous-titre de l'ouvrage, Psychologie et comportement des artistes, de l'Antiquité à la Révolution française, doit être relativisé. Seul le premier chapitre livre quelques rapides aperçus sur les artistes de l'Antiquité, moins d'ailleurs sur leur comportement que sur l'individualisation de leur statut. La méfiance à l'égard des constantes que les auteurs seraient tentés d'établir entre les attitudes psychologiques des artistes de l'Antiquité et ceux de l'époque moderne, motive en partie ce renoncement à se situer véritablement dans la longue durée. Ce rappel de l'Antiquité sert en fait à scander, dans les premiers chapitres qui le suivent, les différents moments dans le processus d'individualisation de la création, et le passage du statut d'artisan à celui d'artiste après la « régression médiévale ».

L'émancipation intellectuelle de l'artiste à la Renaissance est étroitement liée à la désagrégation du système des corporations, qui modifie profondément les relations entre les artistes et les commanditaires. Parmi les nombreux cas exemplaires, on peut citer celui de Lorenzo Ghiberti, qui exhorte les artistes à imiter la dignité et la tempérance des doctes, et qui compose sa propre autobiographie, ou encore celui de Leon Battista Alberti pour la conscience extrême qu'il avait de la valeur intellectuelle et sociale des artistes de sa génération. Après avoir mis en évidence le relâchement des liens entre l'Église et les artistes à partir de la Renaissance, les renversements apparus à l'époque moderne dans les relations entre les mécènes et leurs artistes qui sont de moins en moins leurs obligés, les Wittkower quittent ce plan socio-historique pour faire apparaître toute une gamme d'attitudes psychiques. Ce basculement est sous-tendu par l'idée, non explicitée toutefois, que les relations entre le commanditaire et l'artiste, fondées sur le vieil ordre économique du mécénat, finissent toutefois par accorder à l'artiste une autonomie de plus en plus grande ; viendrait ensuite une nouvelle configuration dans laquelle l'artiste ne dialogue plus qu'avec ses œuvres, ne négocie plus qu'avec sa psyché.

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Écrit par

  • : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre

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