LES ÉPHÉMÈRES (A. Mnouchkine)
Les éphémères, c'est initialement le nom de petits insectes ailés, dont l'existence ne dépasse pas vingt-quatre heures, une fois qu'ils sont devenus adultes. C'est aussi le titre d'une création d'Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil, dont la première a eu lieu le 27 décembre 2006 à la Cartoucherie de Vincennes avant d'être présentée au festival d'Avignon 2007. Sur la piste partageant en deux le public installé en vis-à-vis, Ariane Mnouchkine et sa troupe nous invitent à les suivre dans leur voyage au bout des existences qui composent l'humaine condition. D'une durée de huit heures, proposé en deux soirées ou d'une seule traite, le spectacle ne repose pas sur un récit unique, mais sur une succession de saynètes interprétées sur des chariots, manipulés à vue. Certaines durent à peine quelques secondes, d'autres sont plus longues, d'autres encore se recoupent. Déclinées sans souci apparent de logique ou de chronologie, elles n'en forment pas moins un tout.
Dès le début le ton est donné : une maison mise en vente pour cause de décès est achetée par un couple dont la femme vient d'enfanter. De la naissance à la mort, du cercueil au berceau, suivront un acte de divorce, une saisie dans un appartement, un retour de fête foraine... Rupture, perte, disparition, séparation, maladie, vieillesse, accident, lâcheté, pardon, quête des origines... les thèmes se bousculent au fil des séquences qui semblent surgies d'un album de famille : des grands-parents qui jouent avec leurs petits-enfants au bord de la mer ; une vieille dame fantasque qui rêve de partir en Mésopotamie pour voir les jardins suspendus de Nabuchodonosor ; une fillette tiraillée entre sa mère et son père séparés ; une épouse infidèle qui s'apprête à abandonner filles et mari le soir de Noël...
Sur fond de situations cocasses, douces ou tragiques, c'est l'humanité qui est montrée. Sans jugement moral, sans misérabilisme ni voyeurisme non plus. Alors qu'alternent heurs et malheurs, éclats de violence et moments de grâce, l'émotion est là, prégnante, menant du rire aux larmes, de la colère à la tendresse. Elle est portée par une trentaine de comédiens du Théâtre du Soleil, toutes générations confondues, montrant cette grâce et cette évidence qui renvoie chaque spectateur, avec délicatesse et pudeur, à ses propres émois, ses propres bonheurs, ses propres blessures. Il en naît un étrange sentiment de proximité avec les acteurs et leurs personnages, exacerbé par la musique de Jean-Jacques Lemêtre. Depuis une petite galerie dominant l'aire de jeu, l'homme-orchestre accompagne en direct ce ballet chaotique à grand renfort d'étranges instruments : « flûte à bec contrebasse », violons fabriqués dans des sabots de Hollande ou avec des masques ramenés d'Australie.
Les Éphémères s'inscrit dans la foulée de la précédente création du Théâtre du Soleil, Le Dernier Caravansérail, qui a réuni près de 200 000 spectateurs. Mais ce dernier spectacle, traitait du destin de personnages venus d'« ailleurs », réfugiés de tous pays fuyant les guerres et la misère, tandis que les protagonistes des Éphémères sont d'« ici ». Ils sont nos frères, nos sœurs, nos parents, nos voisins, nos amis, nés, non pas de rencontres et d'interviews réalisées dans des camps de transit, comme pour Le Dernier Caravansérail, mais de la parole des acteurs du Théâtre du Soleil invités à puiser au plus profond d'eux-mêmes des « visions » (faites d'évocations, d'images souvenirs...) pour les mettre en forme et en scène en collaboration avec Ariane Mnouchkine. On leur doit aussi les décors supportés par les chariots, dont ils sont les manipulateurs. Ces chariots étaient déjà utilisés dans Le Dernier Caravansérail. Mais[...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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