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LES EXTRAVAGANTS DU THÉÂTRE (exposition)

La Bibliothèque historique de la Ville de Paris a présenté, du 1er mars au 4 juin 2000, une exposition sur Les Extravagants du théâtre, de la Belle Époque à la « drôle de guerre », qui revisite sur un mode ludique une époque considérée comme l'âge d'or des avant-gardes. Geneviève Latour, initiatrice de l'exposition et auteur du catalogue (en collaboration avec Arlette Albert-Birot), s'est attachée à disséquer la vie théâtrale parisienne du début du xxe siècle aux années 1940 pour en offrir un panorama contrasté et pluriel, qui se tient résolument à distance des traditionnelles classifications par mouvements artistiques. Si quelques grandes lignes directrices se dessinent, qui vont des derniers feux du symbolisme à l'émergence de Dada et du surréalisme, c'est d'abord sous la forme d'un répertoire de figures originales que se présente l'ouvrage. Cette approche historique foisonnante, privilégiant les personnalités et les anecdotes, a une dimension savoureusement iconoclaste. Les aventures théâtrales de la centaine d'artistes ici présentés nous disent d'abord l'impossibilité de réduire une vie théâtrale à des écoles. Tous les « -ismes » revendiqués ici et là (nunisme d'Albert-Birot, qui trouve son expression avec Larountala, « polydrame en deux parties composé entre 1917 et 1918 », dont les Parisiens découvrent en 1918 Clair de lune, simultanéisme de Marinetti, sincérisme d'Alberto Savinio…) ne renvoient qu'à une myriade de singularités. Même les mouvements plus fédérateurs, comme Dada ou le surréalisme, sont présentés dans le quotidien de leurs multiples dissensions, querelles et exclusions.

Une perspective aussi éclectique n'est pas sans poser le problème de la cohérence du corpus d'auteurs examiné, d'autant que la notion centrale d'extravagance n'est jamais définie. Quel rapport peut-on établir entre la mégalomanie du Sâr Péladan, mystique antimoderniste, dont la wagnérienne Babylone est reprise en 1918 et en 1927 par le Théâtre ésotérique de Berthe d'Yd et de Paul Castan qui mêle au théâtre ballets russes, cubisme et rythmes de jazz, et l'explosive Parade de Cocteau, Satie, Picasso et Massine ? Si le dénominateur commun de ces théâtres est la part de violence qu'ils infligent au bon goût bourgeois – Victor, ou les Enfants au pouvoir (1928), de Roger Vitrac, en est l'exemple le plus connu –, l'extravagance désigne aussi, plus profondément, leur force de résistance à toute homogénéité esthétique. Les essais dramatiques du Douanier Rousseau, d'Erik Satie, de Pablo Picasso, de Max Jacob, ou encore les recherches théâtrales de Raymond Roussel et de Pierre Albert-Birot forment une jubilatoire série d'écarts à la norme, et une étonnante collection de curiosités.

C'est avec un soin de collectionneuse que Geneviève Latour présente ce répertoire, en résumant un ensemble de pièces aujourd'hui difficilement accessibles voire perdues, en précisant les dates, les lieux et les distributions de chaque création, et en indiquant quelles furent les reprises majeures des œuvres. Grâce au rassemblement de nombreux extraits de presse, souvenirs d'artistes, photographies et dessins préparatoires, le catalogue relate avec précision le déroulement des représentations et leur réception. La vie théâtrale de l'époque, ponctuée de violents chahuts et de bagarres musclées, est l'objet d'une investigation détaillée, parfois au risque d'égarer le lecteur dans un dédale d'anecdotes. La récurrence des scandales occasionnés par les spectacles, liés à la transgression des codes traditionnels par le métissage du théâtre avec la poésie chez René Ghil par exemple, le music-hall chez Ghelderode, le cinéma chez Yvan Goll, ou encore le sketch chez Tzara, permet néanmoins à l'auteur de mettre en perspective la complexité[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Grenoble-IV-Stendhal