LES FAUX-MONNAYEURS, André Gide Fiche de lecture
Un jeu de miroirs
La richesse romanesque et l'abondance des intrigues servent à Gide, telles des lentilles de foyers différents, à entretenir l'incertitude sur la réalité des événements, à jeter le trouble sur le comportement et la psychologie des personnages, tous partagés entre les valeurs bourgeoises et la révolte. Mais la complexité délibérée de la structure romanesque ainsi que le procédé de mise en abyme, qui nous fait parfois penser que le roman qu'Édouard entreprend d'écrire est celui-là même que nous lisons, renvoient également à la crise du roman : « J'ai souvent pensé, interrompit Édouard, qu'en art, et en littérature en particulier, ceux-là seuls comptent qui se lancent vers l'inconnu. On ne découvre pas de terre nouvelle sans consentir à perdre de vue, d'abord et longtemps, tout rivage. » Ce constant dédoublement entre fiction et réalité annonce cette « ère du soupçon » que les « nouveaux romanciers », notamment Nathalie Sarraute et Alain Robbe-Grillet, théoriseront au milieu des années 1950.
L'œuvre de Gide pose également le problème de la jeunesse, en une époque de grande crise intellectuelle et morale. L'aptitude gidienne à confondre esthétique et morale, hédonisme et rigueur, plaisir et discipline en a fait un modèle pour cette génération, mal remise du massacre de la Grande Guerre (1914-1918), formée à l'école de la tradition classique et répugnant à la révolte anarchique de Dada puis du surréalisme, méfiante enfin à l'égard des deux totalitarismes, nazisme et communisme, qui divisaient l'Europe.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain CLERVAL : docteur en droit, critique littéraire
Classification
Média
Autres références
-
GIDE ANDRÉ (1869-1951)
- Écrit par Éric MARTY
- 3 662 mots
- 2 médias
...libre – qui commet un crime sans motif, comme pour déstabiliser tout à la fois la psychologie du roman traditionnel et le consensus moral de la société. Les Faux-Monnayeurs, plus ambitieux, reprend les grands thèmes gidiens ; mais le livre se caractérise surtout par la technique radicale de la « mise en... -
LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE
- Écrit par Dominique RABATÉ
- 7 278 mots
- 13 médias
...roman-fleuve la théorie de l’art et de l’écriture avec le récit de la vocation de son narrateur. D’une manière proche, Gide incorpore à son seul véritable roman, Les Faux-Monnayeurs (1925), le journal d’Édouard, personnage d’écrivain, et double ce roman déjà réflexif d’un Journal des Faux-Monnayeurs...