LES FEMMES SAVANTES, Molière Fiche de lecture
Avant-dernière comédie de Molière (1622-1673), Les Femmes savantes font écho aux Précieuses ridicules (1659) qui ont ouvert la carrière parisienne de l'auteur. Sur le même motif (les femmes et leur volonté de prétendre au savoir et à l'art dans une société de salon), Molière est passé d'une pièce en un acte et en prose, fondée sur des types, faisant la satire de précieuses provinciales entichées de clichés amoureux, à une comédie longue, composée en vers et disposée en cinq actes, visant des parisiennes érigées en caractères et se piquant de philosophie – science, métaphysique et arts confondus.
C'est que la revendication des salons a changé. La réforme des mœurs, des sentiments et du langage s'applique maintenant à des matières plus élevées. Si dans le salon de Mlle de Scudéry, on avait inventé le terme de « femme savante », les nouveaux salons féminins parlent désormais bien plus de la philosophie et de la science que des méandres du cœur, abondamment glosés dans le Grand Cyrus ou dans Clélie. Seule Bélise, dans Les Femmes savantes, admire encore les vieux romans, tandis que les autres, si elles ne renient rien de leur plaisir à participer au courant galant, s'intéressent à d'autres sujets. En 1668, Marguerite Buffet a publié son Éloge des femmes savantes. C'est l'époque où l'on vante, malgré les sarcasmes, l'aptitude féminine à converser librement avec les hommes des thèmes les plus divers et où l'on remarque, dans Le Cercle des femmes de Laforge et Le Mérite des femmes de Saint-Gabriel, en 1663, que le savoir peut être partagé entre les sexes, pour l'intérêt de tous. Une des reines des salons du temps, Mme de la Sablière, excelle en astronomie. Boileau s'en moque, mais l'ensemble des mondains réfléchit, admet et écoute. Ce que Molière reprend alors pour s'en moquer, selon son habitude, c'est le monde de l'excès, de la fausse honnêteté, celui de la femme qu'on croit savante alors qu'elle n'est qu'une bourgeoise de seconde zone, comme Jourdain était un bourgeois gentilhomme.
Une galerie de portraits
Après une longue maturation – dès décembre 1670, Molière avait pris un privilège –, et une soigneuse préparation – il avait préalablement lu sa pièce chez La Rochefoucauld et chez le cardinal de Retz –, cette comédie, créée au théâtre du Palais-Royal le 11 mars 1672, fut un succès, ne serait-ce que pour ses clés : Trissotin désigne le vieil abbé Cotin, académicien, poète mondain auteur d'un Sonnet à la princesse Uranie sur sa fièvre et d'une épigramme Sur un carrosse de couleur amarante cités par Molière à l'acte III, et également à l'origine d'un jugement fort virulent sur les comédiens farceurs (des « païens ») durant l'affaire du Tartuffe ; quant à Vadius, il ridiculise Gilles Ménage, poète érudit et violemment attaqué par Cotin dans un pamphlet nommé La Ménagerie (1669). Ajoutons que ces deux auteurs s'étaient opposés à Molière dans le débat qui suivit Le Misanthrope.
Le schéma dramaturgique de la pièce est éprouvé : une famille est mise en désarroi par la manie de son chef qui veut à tout prix que sa fille (Henriette) épouse un ridicule parti (Trissotin) au lieu de Clitandre (l'amoureux topique de la comédie), qu'elle aime. Tout cela rappelle Tartuffe ou Le Bourgeois gentilhomme, à ceci près que l'ordre commun est « sens dessus dessous », en particulier parce que le chef, cette fois, est incarné par la mère (Philaminte, jouée par Hubert, un acteur qui avait déjà interprété le rôle de Madame Jourdain) et non le père (Chrysale, qu'interprète Molière). Saisie par le démon du savoir, cette femme supplante un mari bon bourgeois secondé par un frère raisonnable (Ariste). Pour le reste, Molière dédouble le personnel théâtral[...]
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Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Média
Autres références
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MOLIÈRE (1622-1673)
- Écrit par Claude BOURQUI
- 7 631 mots
- 7 médias
...1670, les comédies de Molière reflètent harmonieusement les idées dominantes au sein de son public. Un infléchissement semble se dessiner à l’occasion des Femmes savantes, dont plusieurs passages prennent parti contre le cartésianisme, à un moment où les épigones du philosophe sont en train de conquérir...