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LES FORMES DU VISIBLE (P. Descola) Fiche de lecture

Professeur émérite au Collège de France, Philippe Descola, a profondément renouvelé l’anthropologie en interrogeant les façons dont les collectifs humains nouent des relations avec ce que nous appelons « la nature ». Il a d’abord mené des enquêtes sur des techniques de chasse et de jardinage dans des sociétés vivant dans la partie amazonienne du Pérou, les Shuar, qu’il a relatées dans deux livres, l’un sous forme de monographie scientifique, La Nature domestique (1986), l’autre sous forme de récit littéraire, Les Lances du crépuscule (1993). Puis il a conduit une recherche comparative sur les différentes relations qui existent entre les êtres humains et non-humains, qui a donné lieu à la publication de Par-delà nature et culture (2005). Il a ensuite entrepris de décrire les formes de figuration qui correspondent à ces modes de relation, d’abord à travers une exposition au musée du quai Branly (La Fabrique des images, 2010) puis à travers un son essai, Les Formes du visible, 2021.

Qu’est-ce qu’une image ?

En donnant pour sous-titre à ce livreUne anthropologie de la figuration, Philippe Descola s’inscrit dans le débat contemporain entre histoire de l’art et anthropologie. Peut-on qualifier d’art les images produites par les sociétés non occidentales dans la mesure où elles ne visent pas la ressemblance ou l’imitation ? Deux réponses ont été données à cette question, que Descola met en balance. L’approche sémiotique considère les images comme des signes qui, à la différence des symboles linguistiques, ne sont pas arbitraires, mais motivés. Selon les termes du philosophe Charles Sanders Peirce, les images peuvent être conçues comme des icônes, qui partagent des propriétés avec ce à quoi elles renvoient, ou des indices, qui agissent sur ce qu’elles désignent. Cette seconde définition est au principe de l’approche praxéologique, qui étudie « l’agentivité » ou le « pouvoir » des images dans la vie sociale et affective des humains. Cette définition permet d’évacuer le problème de la ressemblance, mais elle laisse aussi de côté la dimension iconique des images. Descola propose de reprendre ce problème à partir des modes d’identification qui agissent comme des filtres dans la perception des choses et structurent la composition des mondes. La figuration est ainsi définie comme « l’instauration d’agents iconiques », « au moyen de laquelle un objet matériel quelconque est institué en un signe iconique d’un être ou d’un processus à la suite d’une action de représentation plastique, de mise en situation ou d’ornementation ».

Cette définition de la figuration permet à Descola d’intégrer dans un « continuum iconique » les pierres taillées, les blasons, les pictogrammes ou les formes d’art dites « non figuratives ». Toutes ces images, en effet, induisent une chaîne d’actions entre leurs producteurs, leurs regardeurs et tous les êtres, visibles ou invisibles, qu’elles impliquent. Si, dans l’Occident moderne, la forme de la perspective a configuré cette relation entre un sujet actif et un objet passif, d’autres façons d’organiser les points de vue sont possibles. Ainsi, dans les icônes byzantines et russes, le point de vue est dans l’image, selon la théorie de la « perspective inversée » avancée par le philosophe Paul Florensky. Dans les œuvres de la côte nord-ouest de l’Amérique, deux profils sont collés l’un à l’autre selon un axe de symétrie qui juxtapose deux points de vue sur le même animal, selon la théorie de la « représentation dédoublée » forgée par l’anthropologue Franz Boas.

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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Peinture Kunwinjku représentant un kangourou - crédits : Thierry Ollivier/ Michel Urtado/ musée du quai Branly - Jacques Chirac/ RMN-Grand Palais

Peinture Kunwinjku représentant un kangourou