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SÉRAPION LES FRÈRES DE (1921-1925)

Le groupe littéraire des Frères de Sérapion s'est formé dans le Petrograd de 1920-1921, au lendemain de la révolution, à un moment où la ruine économique et les bouleversements sociaux menaçaient en Russie l'existence même de la littérature. Il s'inscrit dans le processus de renaissance de la prose, après les années de prépondérance de la poésie, et de recherche de voies nouvelles pour la littérature russe.

Le noyau primitif du groupe s'est formé dans les ateliers d'enseignement de la technique littéraire qui fonctionnaient autour des éditions Littérature mondiale dirigées par Gorki, puis à la Maison des arts. C'est dans cette dernière que résidaient, au milieu de nombreux autres écrivains, les futurs Sérapion, et qu'ils commencèrent à se réunir, encouragés par Gorki qui dirigeait vers eux les jeunes écrivains de talent. Février 1921 marque la naissance du groupe, dont la composition restera immuable au cours des années, sans exclusions ni arrivées nouvelles. Tous ses membres sont nés entre 1892 et 1902. La plupart sont dès cette époque des prosateurs : L. Lunz, M. Zochtchenko, K. Fedine, V. Kaverine, M. Slonimski, N. Nikitine et Vsevolod Ivanov ; trois sont des poètes, N. Tikhonov, V. Pozner, qui part en France avec sa famille en 1922 et deviendra un écrivain de langue française, et E. Polonskaïa, la seule femme du groupe ; le dernier enfin, I. Grouzdev, sera critique littéraire. Placés sous la direction morale de Gorki, les Sérapion sont également influencés par E. Zamiatine d'une part et par les formalistes d'autre part, en particulier par V. Chklovski. Groupe d'amis plus que coterie littéraire, « ordre » dont le nom fait référence aux Contes des Frères Sérapion de E. T. A. Hoffmann (contes racontés par six amis qui ont choisi comme saint patron l'ermite Sérapion, parce qu'ils avaient tenu leur première réunion le jour de sa fête), les Sérapion se réunissent pour s'amuser autant que pour lire leurs œuvres et discuter littérature. Leur seule activité collective sera la publication d'un recueil, l'almanach qui porte le nom du groupe.

À une époque où les écrivains prolétariens veulent imposer une mission idéologique et politique précise à la littérature, le groupe des Sérapion se dresse contre cette exigence et proclame son apolitisme ; il affirme la spécificité et l'indépendance de la littérature. Dans la création, ses membres, qui sont en général considérés à l'époque comme « compagnons de route », vont tenter d'apporter du nouveau dans la littérature soviétique, sans renier l'héritage du passé.

Réunis par leur foi en la littérature et par leur vocation d'écrivain, les Sérapion semblent pouvoir, malgré leur diversité, être rangés en deux tendances. Les « Occidentaux » veulent, comme Kaverine, emprunter aux littératures européennes, moins engagées que la russe, leur sens du sujet dramatique qui passionne le lecteur. C'est ce que tente L. Lunz, le théoricien du groupe, dans des pièces de théâtre qui rappellent Victor Hugo par leurs sujets tirés du Moyen Âge et leurs collisions extraordinaires, cependant que Kaverine compose des récits fantastiques à la manière d'Hoffmann. Les « Orientaux », avec à leur tête Ivanov, sont plus proches de la tradition russe par le réalisme de leurs œuvres, l'analyse psychologique et la description de la vie quotidienne, ainsi que par leur style, qui n'est qu'une variante enrichie de la prose russe classique.

Dissous en fait dès 1925 après la mort de Lunz et les départs de certains membres pour Moscou, très critiqué pour l'apolitisme qu'il avait affiché à ses débuts, le groupe restera considéré par la critique soviétique comme un phénomène négatif, oublié sous Staline. Ses membres, et c'est là le point le plus étonnant, se feront[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, maître assistant à l'université des langues et lettres de Grenoble

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