LES FRÈRES SISTERS (J. Audiard)
Rêveries mythologiques
La nature reflète elle-même cette disproportion entre progrès du confort tel qu’il s’affirme dans les grandes villes et sauvagerie qui continue de menacer les corps. Ainsi Eli est-il contaminé par la piqûre d’une araignée ayant pénétré dans sa bouche durant son sommeil, plombé par le venin ; au réveil, il découvre à deux pas de lui un énorme grizzli abattu par son cadet. C’était l’araignée ou l’ursidé. Il lui reste à cracher le sang de sa gorge sur des fourmis comme s’il exorcisait ses mauvais rêves. Par un subtil jeu d’ellipses, ceux-ci ne sont pas toujours visibles, à l’exception de celui qui montre le père-ogre, mais laissent entrevoir leurs traces en plein jour. Cette poésie, qui rappelle à nouveau l’onirisme de La Nuit du chasseur, s’exprime dans la magnifique scène nocturne et tragique de la moisson d’or dans la rivière, tout à la fois révélée et brûlée par l’acide. Jacques Audiard filme l’attente de cette alchimie, et les regards des quatre hommes avides et impatients comme des enfants. Le phalanstère tant désiré par Warm, qui a réussi à insuffler cette possibilité de paix à Charlie, Eli et Morris, connaîtra au moins un début de réalisation avec cette communion. Mais ces faiseurs de miracles seront punis par l’inconscience de Charlie, et ce pouvoir de « faiseur d’or » digne de Midas qu’il se montre incapable de maîtriser rendra Warm aveugle. Les Frères Sisters renoue ainsi avec les fondations mythologiques du western.
Devant cette réussite et ce brio, on en oublierait que Jacques Audiard n’est que le deuxième cinéaste français à maîtriser ce genre après Jacques Tourneur, et que la production du film s’est totalement déroulée en Europe, où les paysages de l’Ouest américain ont été « retrouvés » en Espagne et en Roumanie. Une magie du cinéma d’autant plus visible sur l’écran qu’elle demeure secrète dans l’élaboration d’images qui renouent avec les rêveries de l’enfance.
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Écrit par
- Pierre EISENREICH
: critique de cinéma, membre du comité de rédaction de la revue
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