FUGGER LES
Anton, « le prince des marchands »
Homme de la seconde génération, Anton prend à trente-deux ans la direction de l'affaire. Il a été formé, de même que son frère Raymond, par la méthode classique d'apprentissage commercial : séjour dans les comptoirs de Breslau dès 1512, puis de Bohême et de Hongrie, à Rome enfin où le comptoir des Fugger est devenu, au début du xvie siècle, la banque des princes et hauts dignitaires ecclésiastiques d'Allemagne. Par eux et leur agent Jean Zink, le trafic des prébendes et celui des indulgences se sont développés à l'échelle internationale avant que ne s'élève en Allemagne la protestation de Luther (1517). Les Fugger ont supplanté les Florentins pour la tenue de la ferme de la monnaie pontificale. Ces activités romaines connaissent un déclin après le sac de Rome par les troupes de Charles Quint (1527). Anton reprend en main les différents éléments de l'entreprise bancaire, minière et commerciale par l'intermédiaire des « facteurs » dont il coordonne l'action à Vienne, Leipzig, Breslau, Nuremberg, Francfort-sur-le-Main dont les foires sont en pleine expansion, Cologne et surtout Anvers dont la Bourse est la grande régulatrice du crédit, où se négocient les emprunts de l'empereur, où s'opèrent les transferts de fonds d'Espagne vers les Flandres et la haute Allemagne.
L'alliance avec les Habsbourg est à double tranchant : d'une part, elle est nécessaire au banquier dans les luttes qu'il mène contre les Höchstetter pour le cuivre de Bohême ou le monopole du mercure, contre les autres maisons d'Augsbourg pour l'exploitation de l'argent tyrolien, la pénétration dans le Nouveau Monde – au Venezuela, en association momentanée avec les Welser de Nuremberg –, la mainmise en Espagne sur les droits régaliens et les monopoles fiscaux ; d'autre part, elle ne permet pas à Anton, ou à ses agents, notamment celui d'Anvers, de résister efficacement aux pressions financières qui s'exaspèrent avec la guerre contre la France, la ligue de Smalkalde et les Turcs : la monarchie commerciale et bancaire des Fugger semble doubler l'empire politique des Habsbourg. La maison se transforme. Anton conduit seul la firme au milieu de la complexité des affaires politiques, religieuses et internationales. Il est mêlé de près ou de loin à toutes les luttes impériales ; les bilans successifs montrent l'importance croissante prise par les affaires d'Espagne, de Hongrie, les créances sur Anvers (la ville, les États de Flandre, le roi d'Angleterre, le roi du Portugal) ; les lettres des Fugger font l'objet à Anvers d'un trafic constant, le monde entier les considère comme aussi sûres que l'or et Anton est qualifié par Lodovico Guicciardini de « prince des marchands ». Mais après 1555 la situation se modifie. L'augmentation inconsidérée du volume du crédit à Anvers, la liaison trop étroite avec les affaires politiques, l'abdication de Charles Quint rendent les Fugger très sensibles à la crise financière de 1557. Suspendant le remboursement des créances en Espagne et aux Pays-Bas, Philippe II confisque deux envois d'argent destinés aux Fugger. C'est le début des difficultés pour la firme. Anton meurt en 1560.
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Écrit par
- Georges LIVET : doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de Strasbourg
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