LES GÉANTS DE LA MONTAGNE (mise en scène S. Braunschweig)
« Aux lisières de la vie »
D’une rigueur implacable, la mise en scène de Stéphane Braunschweig pose de façon crue la question de la posture et de la responsabilité de l’artiste (auteur ou metteur en scène), de sa capacité ou de son incapacité à s’adresser à l’« autre ». À l’image d’un Cotrone, il peut succomber à la tentation du repli sur soi et sur les terres de l’« art pour l’art », quitte à laisser en plan une humanité décidemment trop barbare. Il peut aussi refuser de se soumettre et se battre, à l’instar de la Comtesse Ilse, même si la lutte se révèle vaine. Le propos fait craindre le cours obligatoire du soir, le discours théorique.
C’est compter sans l’art de Braunschweig, qui use de tous les registres du tragique, de l’humour et de l’émotion, dans un espace dont, comme à son accoutumée, il a signé la scénographie : une grande boîte posée au milieu du plateau tournant. Un rideau la ferme – rideau de théâtre qui s’ouvre sur les territoires de l’imaginaire en même temps que sur le monde onirique d’où parviennent des fantômes délivrés de leur corps, surgis d’outre-tombe. Ses parois sont de verre. S’y réfléchissent des jeux de lumières pleines, rouges, en clair-obscur. S’y projettent des hologrammes, des images vidéo et d’animation révélant des figures et des ombres incertaines dans une atmosphère fantastique. En une troublante alchimie se mêlent visions fantasques et quotidien trivial, pulsions de mort et de vie, réalisme et rêve teinté aux couleurs de l’enfance.
Travestis, habillés en circassiens, en gitans d’opérette, ou, plus sobrement, en habit noir, quatorze comédiens sont les interprètes de cette fantasmagorie pour notre temps, parmi lesquels John Arnold, Laurent Lévy, Marie Schmitt, Daria Deflorian, Julien Geffroy et, surtout, Dominique Reymond et Claude Duparfait. Elle est la comtesse Ilse, femme combattante, sacrificielle ; lui, le magicien Cortone , un rien gourou, un rien Prospero, barbe blanche et fez sur la tête. Tous, saisissants de justesse, sont à la fois les acteurs et les témoins de cette fable dense, complexe et touffue qui rappelle que si le théâtre est un luxe, ce luxe est indispensable. Que, quels que soient le temps et les époques, il ne peut se couper des autres, s’il veut exister. Que « rien n’est vrai, mais que tout peut être vrai » selon ce que l’on croit, pour peu que l’on refuse de se laisser enfermer dans les limites de la raison, pour laisser tout entière la part au rêve et à l’imagination. Face à la brutalité du monde moderne et de la raison technicienne, l’ultime acte de résistance, de révolte et d’indignation est bien, comme le rappelle Stéphane Braunschweig, de revenir à la poésie, seule capable d’« inventer d’autres vérités. »
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
Classification
Média