LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE (M. Rasoulof)

Sorti en 2024, Les Graines du figuier sauvage est un film réalisé par le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof. Pour celui-ci (né en 1972 à Chiraz), le travail derrière la caméra et la lutte politique sont indissociables, ce que confirme cette peinture sans concession de la société iranienne.

Après des études de sociologie (une discipline qui continuera à l’inspirer) dans sa ville natale, puis de cinéma à Téhéran, Mohammad Rasoulof réalise son premier long-métrage en 2002. Il reçoit une première récompense internationale à Montréal en 2005 pour La Vie sur l’eau. Dès 2010, il est arrêté en compagnie de son illustre collègue Jafar Panahi « pour avoir filmé sans autorisation » et doit passer une année en prison. Ses films sont régulièrement présentés dans les grands festivals internationaux, tandis que les persécutions policières et judiciaires se multiplient contre lui. Si, en 2020, il obtient l’ours d’or à Berlin pour Le diable n’existe pas, il est à nouveau emprisonné avec le cinéaste Mostafa al-Ahmad en juillet 2022 pour avoir critiqué la répression de manifestations à Abadan, ayant eu lieu à la suite de l’effondrement d’un bâtiment. Jafar Panahi les rejoint trois jours après, pour avoir osé demander des comptes sur leur captivité. Panahi et Rasoulof partagent la même cellule et, s’ils subissent vexations et mauvais traitements, ils ne sont pas brutalisés, sans doute protégés par leur célébrité, au contraire de milliers de prisonniers victimes du régime iranien.

Un tournage clandestin

Libéré en février 2023, Rasoulof se met aussitôt à préparer Les Graines du figuier sauvage. Le mouvement Femme, Vie, Liberté a débuté à l’automne 2022 à la suite de la mort de la jeune Mahsa Amini. Le film de Rasoulof, qui se déroule pendant les journées marquées par ce soulèvement, met en scène la famille d’un juge apparemment intègre, dont le vrai visage va se révéler peu à peu au cours d’un long récit d’une redoutable habileté. Le tournage est mené en toute clandestinité, chaque participant risquant sa vie et sa liberté.

Invité en sélection officielle à Cannes, Rasoulof apprend dans le même temps qu’il est destiné à retourner au moins huit ans en prison. Quittant secrètement le pays, il reçoit le prix spécial du jury cannois le 25 mai 2024. Les qualités d’Anora, palme d’or de ce palmarès, n’interdisent pas de penser que Rasoulof la méritait bien davantage. Comme le réalisateur, plusieurs actrices ont pu quitter le pays, en prenant de grands risques. Mais d’autres membres de l’équipe restent en très grand danger. Invisible en Iran autrement que par des canaux clandestins, le film a dépassé les 500 000 entrées à l’automne 2024 en France.

Les Graines du figuier sauvage associe un discours politique puissant, un discours moral, une mise en perspective des structures familiales et des enjeux d’autorité et un exposé sur le pouvoir patriarcal face à la force émancipatrice des femmes iraniennes. Devant ses filles qui l’accusent pour ses compromissions, le père (Misagh Zare) proteste : il s’est toujours montré envers elles aimant, respectueux, soucieux de leur confort et de leur avenir. Rasoulof projette sur le microcosme d’une famille bourgeoise de la capitale, vivant dans une harmonie apparente, la totalité des problématiques politiques et sociales que connaît l’Iran de notre temps. Très habilement, la mise en scène montre un couple qui s’aime, qui élève avec attention ses filles, une adolescente (Setareh Maleki) et une jeune adulte (Mahsa Rostami), dans une intimité familiale décrite avec insistance. Ainsi de la chambre conjugale, des repas de la journée, des attentions de la mère (Soheila Golestani) pour son mari et ses enfants. La piété du couple, vivant avec sincérité un quotidien de prières et de respect des traditions, est elle aussi évoquée.