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LES GRANDES ESPÉRANCES, Charles Dickens Fiche de lecture

Une chronique douce-amère

Quand Dickens publie Les Grandes Espérances, il est déjà au faîte de la gloire, connu pour son imagination créatrice débordante, révélée par les aventures de Pickwick (1836-1837), Oliver Twist (1837-1839) et Nicolas Nickleby (1838-1839). Les intrigues y sont le plus souvent noires, hantées par la prison et le châtiment, mais allégées néanmoins par des pauses humoristiques. En 1850, il publie un premier ouvrage autobiographique, David Copperfield, tout imprégné de ses souvenirs d'enfance et de son premier amour de jeunesse. Dans Les Grandes Espérances, Dickens effectue un retour à cette forme autobiographique du roman, en choisissant le moment privilégié de l'enfance, et en en faisant le point de départ d'une analyse psychologique toute en nuances de l'évolution de son personnage, face aux écueils et aux bonheurs de la vie : « L'éducation de ma sœur m'avait rendu sensitif. Dans le petit monde où vivent les enfants, quel que soit celui qui les élève, il n'est rien qu'ils ne perçoivent et ne ressentent aussi vivement que l'injustice. » C'est dire que l'onirisme y côtoie la réalité la plus dure, dramatisée par la profusion des scènes mélodramatiques. Le rôle de protecteur tutélaire dévolu au forçat évadé, et veillant au loin sur le jeune Philip, trouve son équivalent littéraire dans la figure du Jean Valjean de Victor Hugo dans Les Misérables (1862). Dickens introduit cette figure protectrice qui lui a manquée, quand, enfant, il connut les privations, la nécessité de gagner sa vie, la brutalité des maîtres d'école. Adolescent, il dut aussi faire l'expérience de pénibles débuts dans le journalisme, et connut de multiples déboires sentimentaux. Enfin, il rédige Les Grandes Espérances au moment où il se sépare de sa femme, après vingt-deux ans de mariage. L'amertume n'est cependant pas un trait du roman, qui manifeste plutôt l'acceptation et la résignation des personnages, à partir du moment où leur voie véritable est tracée. Les épreuves endurées s'apparentent à une véritable initiation : ainsi, Philip doit renoncer à ses prétentions sociales, et revenir aux mœurs simples et douces du forgeron, tandis qu'Estella doit cesser de jouer de sa séduction pour connaître l'amour véritable. S'il y a « happy end » et conclusion morale, c'est par le sacrifice et l'abnégation qu'ils sont rendus possibles.

Dickens excelle ici à la fois dans le portrait intimiste, la peinture de mœurs, la description noire d'une réalité sans fard. Ce réalisme teinté d'humour met en valeur l'évolution psychologique des personnages. La gamme étendue des registres employés par Dickens, la sobriété et la maîtrise de son style en font le père d'une certaine modernité romanesque.

— Jean-François PÉPIN

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Écrit par

  • : agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur au lycée Jean-Monnet, Franconville

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Charles Dickens - crédits : John & Charles Watkins/ Hulton Archive/ Getty Images

Charles Dickens

Autres références

  • DICKENS CHARLES (1812-1870)

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    • 3 461 mots
    • 2 médias
    ...livre serve de mise en garde à l'Angleterre ; mais, là encore, on est frappé par la puissance des scènes et la grande ingéniosité de la construction. Avec Les Grandes Espérances(Great Expectations, 1860-1861), Dickens revient à la forme autobiographique, à l'analyse psychologique du développement d'un...