LES HERBES SÈCHES (N. B. Ceylan)
Fidèle à ses habitudes, Nuri Bilge Ceylan dépeint, dans Les Herbes sèches (2023), une Turquie rurale, fortement marquée par la présence du paysage, où se débat le personnage central, Samet, un enseignant. Si la filmographie de l’auteur est un déroulé déformé, mais pertinent de sa quête existentielle et artistique, il ne s’agit pas ici d’un essai autobiographique comme l’était Nuages de mai (1999).
Contrairement à la plupart des autres œuvres du cinéaste, où la cellule familiale n’est jamais loin, Les Herbes sèches dépeint les rapports tendus entre trois solitaires : Samet (Deniz Celiloğlu), Kenan, son collègue et colocataire (Musab Ekici), et Nuray (Merve Dizdar, prix d’interprétation féminine au festival de Cannes 2023), une de leurs consœurs, que les deux hommes convoitent.
Un huis clos en Anatolie
De film en film, Nuri Bilge Ceylan déploie ainsi les thèmes formels et existentiels d’un travail personnel dont il serait, de manière détournée, lui-même le sujet – un work in progress sans cesse retouché, qui lui permet de revenir sur des thèmes abordés jadis et qu’il reprend dans la perspective de ses préoccupations actuelles. Ici, c’est la misanthropie d’un professeur d’arts plastiques entre deux âges, coincé dans un village d’Anatolie qu’il souhaiterait quitter pour Istanbul, qui focalise une bonne partie de l’attention de Ceylan. Le film va ainsi décrire les rapports conflictuels de Samet avec son colocataire Kenan, puis avec une autre enseignante, Nuray, qui a perdu une jambe lors d’une manifestation pour la démocratie, et enfin avec Sevim, une jeune élève adolescente (Ece Bağci).
Les membres de ce microcosme sont des déclassés, chacun pour une raison différente. On remarque dès le début la morgue de Samet, qui n’a de cesse d’imposer sa volonté à Kenan, qu’il perçoit comme un homme faible. Une autre forme de conflit oppose Samet à l’écolière Sevim, qui semble vouloir le séduire, mais dont les parents qu’on ne voit pas – ce qui concourt à faire de ce film un huis clos sans contrechamp – portent plainte contre lui pour des gestes déplacés. Habile bonimenteur, Samet échappe à toute sanction en entraînant Kenan dans sa disgrâce. Si l’administration rectorale intervient pour clore l’épisode en innocentant les enseignants, il n’en révèle pas moins les personnages à eux-mêmes et parachève le portrait asocial et veule de Samet.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Média