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LES HEURES HEUREUSES (P. Quignard) Fiche de lecture

Une quête de l’origine

De même qu’à l’infiniment petit répond l’infiniment grand, le premier chapitre, le seul qui soit sans titre, narre ironiquement le minutieux rituel horaire du coucher de l’empereur Napoléon III à Compiègne et s’oppose ainsi à la digression finale du chapitre cinquante (« Plutarque ») sur le gigantesque rayonnement fossile à l’origine du monde. La fugue verbale joue sur des leitmotive qu’elle reprend sans cesse pour les associer d’une manière nouvelle : le temps, les cycles du jour, des mois (« Novembre » détesté) et des saisons, les livres d’heures, l’amour et la mer. Depuis le livre d’heures du duc de Berry ou la vignette matricielle de Paul de Limbourg représentant le geste amoureux d’Ève dans l’Éden, jusqu’aux almanachs de sa grand-mère, de nombreux souvenirs de lecture, réélaborés, viennent nourrir l’épais palimpseste que forme le livre. Ils sont aussi présents à travers l’évocation de saint Jean de la Croix, Montaigne, Giordano Bruno, Bergson, Emily Dickinson, celle encore de culture gréco-latine et de l’Extrême-Orient, avec une prédilection pour le Japon. Enfin, dans la dernière partie de l’ouvrage, une place de choix est faite aux moralistes du Grand Siècle et au pessimisme lumineux des Maximes de La Rochefoucauld, de Saint-Évremond, Jacques Esprit, Mme de Sablé.

Sur ce planisphère spirituel trouvent aussi place des lieux heureux : le pays natal havrais, celui où l’habitant de Sens vit aujourd’hui (« L’Yonne », « La rue du presbytère »), d’autres plus divers (« La tour de Belèm », « Les ruines de Jumièges », le château de Versailles) et surtout la mer (de « La plage d’Ischia » à l’Atlantique). De même, aux moments de l’histoire (« Pavie », la mort d’Agnès Sorel) se mêlent les souvenirs personnels, comme sa démission du festival de musique baroque à Versailles, ou une escapade à Saint-Florent-le-Vieil en 2017. Au centre de cet immense retable, Pascal Quignard évoque, dans cinq chapitres, la présence d’une amie très chère disparue, l’écrivaine Emmanuèle Bernheim ; il célèbre aussi, avec une poignante gravité, son oncle Jean Bruneau, déporté à Dachau.

Les Heures heureuses ne sont pas une descente aux Abîmes (tome III), mais une remontée aux origines de l’amour et de l’âme : la mer serait ici, comme l’eau chez le présocratique Thalès de Milet, l’élément premier. Tout à la fois humaniste et frondeur, classique et libertin, Pascal Quignard se fait sourcier d’une civilisation, rapprochant les époques et les lieux, les mêlant au sein d’une perception du temps qui oriente la pensée vers le passé le plus lointain.

— Yves LECLAIR

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Écrit par

  • : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain

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