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LES HOMMES DE BONNE VOLONTÉ, Jules Romains Fiche de lecture

Publiés de 1932 à 1946, Les Hommes de bonne volonté constituent, avec 27 tomes, 779 chapitres et une multitude de personnages, la plus vaste somme romanesque de la littérature française du xxe siècle. Mais l'ambition de Jules Romains (1885-1972) est surtout d'élaborer une manière nouvelle d'appréhender le réel et toute sa complexité au travers de la fiction.

Une fresque historico-romanesque

Dès Le 6 octobre, prologue de l'ouvrage, la technique narrative imaginée par Jules Romains pour traduire sa vision « unanimiste » du monde apparaît dans toute son originalité : plus de héros principal, plus d'intrigue, mais un enchaînement rapide de scènes brèves, passant d'un personnage et d'un décor à l'autre, et donnant l'illusion d'une simultanéité et d'une ubiquité. Dans la suite du roman, ces personnages multiples paraîtront et disparaîtront tour à tour, « comme les thèmes d'un drame musical ou d'une immense symphonie ». Le souci de Jules Romains, en effet, est de ne pas trop dérouter le lecteur de 1932, encore peu habitué à des ruptures de récit avec lesquelles le langage cinématographique le familiarisera. Si l'objectif de l'auteur est d'obtenir « tout un pathétique de la dispersion, de l'évanouissement dont la vie abonde », il est aussi d'éviter le « dilettantisme du chaos ». D'où l'extrême rigueur de la construction sous le foisonnement des récits.

Rigueur dans la chronologie d'abord. Mettre en scène une communauté de destins nécessitait une certaine durée et une inscription dans l'Histoire. Jules Romains choisit de faire vivre ses personnages durant vingt-cinq ans – l'espace d'une génération – et de les placer au cœur d'une « onde » historique. Le récit débute le 6 octobre 1908, période marquée par des troubles sociaux et des incidents diplomatiques, pour s'achever en octobre 1933, période de crise économique et de totalitarismes naissants. Au centre, occupant trois tomes de l'ensemble, la Première Guerre mondiale et la révolution d'Octobre, restituées à travers les points de vue des différents acteurs du drame, qu'ils soient dans les tranchées, à l'état-major ou au Kremlin. De plus, quelques grandes figures politiques et militaires du temps – Briand, Clemenceau, Jaurès ou Joffre – deviennent des personnages à part entière.

Délimité dans le temps, le roman l'est aussi dans l'espace. Même si les intrigues essaiment jusqu'à Rome ou en U.R.S.S., c'est à Paris, lieu par excellence de la circulation des foules et de l'expansion « unanimiste », que se déroule l'essentiel de l'action. Cette omniprésence de la capitale donne lieu à des évocations d'une grande qualité poétique, comme celle qui ouvre le dernier volume : « De ses collines, de ses plaines faiblement surélevées et penchantes, Paris descend au travail. Son mouvement est un peu le même qu'il y a vingt-cinq ans, un peu autre. Comme le centre a bougé vers l'ouest, beaucoup d'itinéraires, à partir des quartiers périphériques et des faubourgs, se sont inclinés aussi du côté du couchant. »

Enfin, pour rendre ses personnages facilement reconnaissables, Romains les a pourvus de noms recherchés qui sonnent comme des leitmotive. Surtout, il a fait de chacun d'eux un véritable type social : l'abbé Mionnet, le député Gureau, le marquis de Saint-Papoul, le professeur Ducatelet, le critique George Allory, le promoteur Haverkamp, l'ouvrier Maillecotin et surtout les normaliens Jallez et Jerphanion, double projection de l'auteur lui-même. Et, même si s'y adjoignent des figures plus insolites comme le chien Macaire ou Quinette, le premier serial killer du roman français, ils semblent davantage obéir à une fonction prédéterminée que[...]

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    Dans le cycle des Hommes de bonne volonté(1932-1946), Jules Romains (1885-1972) met à l’épreuve sa conception du simultanéisme à travers un panorama kaléidoscopique qui multiplie les intrigues et les points de vue, associant les destins individuels au devenir de la foule. Romans-fleuves ou romans sommes...
  • ROMAINS LOUIS FARIGOULE dit JULES (1885-1972)

    • Écrit par
    • 533 mots

    Né dans le Velay, venu enfant à Paris, Jules Romains est reçu à l'École normale supérieure en 1905 et à l'agrégation de philosophie en 1909. Il enseigne pendant dix ans, mais depuis 1903 il a parallèlement une activité littéraire importante et il devient vite le représentant le plus brillant de...