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LES HOMMES DE BONNE VOLONTÉ, Jules Romains Fiche de lecture

L'« unanimisme »

Selon Jules Romains, les procédés traditionnels n'ont pas permis à la fiction d'appréhender totalement le réel. Pour peindre le monde de leur temps, les romanciers ont eu recours soit à une juxtaposition de récits, plus ou moins artificiellement reliés entre eux, qui découpent la réalité en grands pans thématiques – c'est ainsi le cas de Balzac avec La Comédie humaine (1842-1856) –, soit à un récit unique, mais volumineux, qui parcourt les époques et les milieux sociaux dans le sillage d'un personnage principal, acteur ou témoin. Ce sont alors Les Misérables (1862) de Victor Hugo ou À la recherche du temps perdu (1913-1927) de Marcel Proust. Dans un cas comme dans l'autre, l'individu est au centre de la narration. Or, si celui-ci a toute sa place dans un roman d'éducation, il ne peut qu'introduire, dans le contexte d'une fresque historique, un point de vue forcément restrictif. Une prise en compte plus exhaustive du réel impose donc que le héros cède la place à une collectivité de personnages. C'est le principe même des Hommes de bonne volonté.

Il n'y a pas là simplement une conception d'ordre esthétique. Cette volonté de mettre le collectif au premier plan participe de la croyance spiritualiste qui inspire Jules Romains depuis qu'en 1903 il en a eu la révélation. Pour lui, le moi n'est qu'un maillon du tout. Il existe une réalité spirituelle supérieure – l'unanime – avec laquelle l'âme individuelle peut entrer en relation et qui doit faire naître la communion des êtres humains. À l'origine des Hommes de bonne volonté, « roman unanimiste », se trouve une image fondamentale : celle d'hommes venus des points les plus divers et « qui tâchent de se rejoindre pour conduire les événements ».

En fait, Les Hommes de bonne volonté apparaissent plus aujourd'hui comme une entreprise d'intellectuel que d'écrivain. Peu soucieuse de novations d'écriture, destinée avant tout à illustrer des idées qui ont parfois vieilli (la foi en la possible harmonie des hommes, en une « bonne volonté » plus forte que le chaos vers lequel tendent les guerres et les révolutions), cette œuvre a indéniablement perdu de son éclat. Il n'empêche que, par sa puissance documentaire et son inventivité romanesque (les crimes de Quinette ou la légende des 365 appartements), elle ne mérite pas le semi-oubli dans lequel notre époque l'a reléguée.

— Philippe DULAC

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Écrit par

  • : agrégé de lettres modernes, ancien élève de l'École normale supérieure

Classification

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

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    • 7 278 mots
    • 13 médias
    Dans le cycle des Hommes de bonne volonté(1932-1946), Jules Romains (1885-1972) met à l’épreuve sa conception du simultanéisme à travers un panorama kaléidoscopique qui multiplie les intrigues et les points de vue, associant les destins individuels au devenir de la foule. Romans-fleuves ou romans sommes...
  • ROMAINS LOUIS FARIGOULE dit JULES (1885-1972)

    • Écrit par
    • 533 mots

    Né dans le Velay, venu enfant à Paris, Jules Romains est reçu à l'École normale supérieure en 1905 et à l'agrégation de philosophie en 1909. Il enseigne pendant dix ans, mais depuis 1903 il a parallèlement une activité littéraire importante et il devient vite le représentant le plus brillant de...