LES LOGIQUES DE L'ENTREPRISE (A. Moutet)
Les nombreux articles d'Aimée Moutet avaient attiré depuis longtemps l'attention des historiens et des économistes. Sa thèse soutenue en 1992 sur la Rationalisation dans l'économie française au XXe s. arrivait à point. En effet, ses recherches menées à partir de 1974 s'intégraient dans le mouvement de remise en cause du système fordiste entrepris, à la faveur de la crise mondiale, par les économistes et les sociologues. C'est dire combien la parution du livre Les Logiques de l'entreprise (Maison des sciences de l'homme, Paris, 1997) suscitait un grand intérêt.
L'ouvrage constitue une étude globale du développement de la rationalisation dans l'industrie française entre les deux guerres. Il montre comment les méthodes ont été introduites dans les différents secteurs de production et dans les entreprises et comment le modèle initial américain, inspiré par Taylor et Ford, a été interprété et adapté en France. Constatant qu'« il n'y a de rationalisation qu'au niveau de l'atelier et du processus de production », l'auteur a donc choisi, délibérément, de se placer au niveau des entreprises pour saisir les rapports de forces, les enjeux, les politiques suivies par les différents acteurs. Une des originalités de l'ouvrage est en effet d'étudier le rôle des industriels et des ingénieurs et de ne pas se limiter à la seule condition ouvrière.
Les ingénieurs avaient joué un rôle essentiel dans l'introduction en France du taylorisme à partir de 1907 et surtout pendant la Première Guerre mondiale. Leur action portant progressivement ses fruits, de nombreuses institutions, associant industriels et grandes écoles, virent le jour, comme le Comité Michelin. Ce mouvement aboutit à la création, en 1926, du Comité national de l'organisation française (C.N.O.F.).
Le modèle industriel américain amena donc les organisations patronales françaises à tenter d'agir, à partir de 1927, en faveur de la rationalisation et de la standardisation des fabrications. Ce modèle apparaissait comme un moyen de résoudre le problème de la lutte des classes en élevant le niveau de vie des ouvriers et en les associant à la vie de l'entreprise.
Le système de rémunération à primes apparut d'abord comme un moyen d'augmenter la production sans faire de gros investissements. Son emploi n'a cessé de s'étendre dans les entreprises privées durant les années 1920, surtout dans la métallurgie, tandis que le mouvement fut plus lent et plus tardif dans les mines, le bâtiment et le textile. Ce succès ne pouvait que favoriser à terme une organisation de type taylorien. L'accroissement du rendement espéré par ce moyen se révélait en effet très réduit lorsqu'il n'était pas préparé soigneusement. Les temps de base trop approximatifs poussaient les ouvriers au freinage. Très vite, le chronométrage et le recours à un bureau de méthode s'avéra nécessaire. Et, à partir de 1926, au moins dans l'industrie mécanique, les formules de salaires tendent à ne plus être qu'un des éléments de la taylorisation qui s'appliquait progressivement.
Au lieu d'adopter la conception taylorienne du contremaître spécialisé dans chacun des aspects du travail, les entrepreneurs français conservèrent la conception de l'unité de commandement à tous les niveaux de l'établissement assimilant ainsi le contremaître à l'officier à la tête de sa section. Le contremaître perd au profit de l'ingénieur la faculté de prévoir le travail et de l'organiser, mais son pouvoir reste très large car c'est lui qui fait respecter le programme de production et surveille l'exécution du travail. L'organisation assigne à l'encadrement subalterne la tâche d'éviter tous les dysfonctionnements. Son efficacité repose en grande partie sur l'activité de la maîtrise.[...]
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Écrit par
- André THÉPOT : professeur des Universités
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