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LES LUMIÈRES RADICALES. LA PHILOSOPHIE, SPINOZA ET LA NAISSANCE DE LA MODERNITÉ 1650-1750 (J. I. Israel) Fiche de lecture

Le 21 février 1677, Baruch de Spinoza, philosophe et polisseur de lentilles, meurt d'une violente phtisie à son domicile de La Haye. L'écritoire qui contient ses écrits inédits, y compris son chef-d'œuvre, l'Éthique, est aussitôt transférée à son éditeur à Amsterdam. Mais qu'en faire ? Publier les textes de ce penseur réputé pour son athéisme notoire est à la fois délicat et coûteux : Spinoza lui-même y a renoncé deux ans auparavant, estimant l'entreprise trop dangereuse. Faute de moyens, un de ses amis propose même de vendre le manuscrit de l'Éthique à Leibniz pour la somme de 150 florins. Heureusement, ce projet n'aboutit pas. Entre-temps, une équipe d'édition s'est mise en place et, moins d'un an après la mort du philosophe, les volumes des Operaposthuma sortent des presses de Jan Rieuwertsz, sans indication d'éditeur et avec comme nom d'auteur les seules initiales « B. de S. »

Si les amis de Spinoza n'étaient pas parvenus à publier ces textes, le monde moderne n'aurait peut-être pas été ce qu'il est. Car, d'une certaine façon, nous sommes tous aujourd'hui les héritiers intellectuels de ce juif apostat du xviie siècle. C'est du moins ce que suggère Jonathan Israel dans Les Lumières radicales (Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford University Press, 2001, traduit aux éditions Amsterdam, Paris, 2005).

Dans ce livre aussi épais qu'impressionnant, l'historien attaché au prestigieux Institute for Advanced Study de la ville de Princeton entreprend de reformuler de fond en comble le concept des Lumières, réévaluant du même coup les racines historiques de la modernité occidentale. Avec une érudition confondante et une richesse de détails historiques inégalée, Israel nous invite à suivre un parcours fascinant dans l'histoire intellectuelle européenne de 1650 à 1750 afin de nous convaincre que certains des idéaux intellectuels et politiques modernes tels que la démocratie et la liberté d'expression ont leur origine dans les milieux hétérodoxes des Pays-Bas du milieu du xviie siècle.

L'auteur montre ainsi, par la lecture soigneuse d'innombrables textes, comment se constitue à cette époque tout un courant souterrain de pensée laïque, sinon athée du moins anticlérical avec virulence, libertaire pour ne pas dire libertin, égalitaire, parfois révolutionnaire, dans une certaine mesure populaire, de toute façon républicain. Parallèlement, il décrit comment les théologiens, les politiques et les intellectuels plus orthodoxes de l'époque tentent de faire barrage à cette marée de pensées impies et politiquement dangereuses, par la réfutation savante le plus souvent, mais également par la censure, par le licenciement des professeurs, parfois par l'emprisonnement des auteurs ayant dépassé les limites du tolérable, pour ne pas parler du recours aux exécutions dans certains cas exceptionnels !

Si les Pays-Bas demeurent au centre du radicalisme intellectuel que décrit Israel, l'objectif du livre est surtout de trouver une unité transnationale dans le mouvement des Lumières. Contrairement à ce qu'ont suggéré beaucoup de travaux de ces dernières décennies qui, peut-être trop centrés sur des spécificités nationales, insistent sur les différences entre les Lumières en France, l'Aufklärung en Allemagne, et l'Enlightenment des Anglo-Saxons, le travail d'Israel met en évidence que les discussions au sein de la République des lettres ne respectent pas les frontières des pays européens : le mouvement des « radicaux » se répand partout, du fin fond de la péninsule Ibérique aux confins de la Scandinavie.

Une figure, selon Israel, rassemble autour d'elle cette foule de penseurs hétérodoxes : Spinoza, juif excommunié, à la fois défenseur de[...]

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