Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LES MILLE ET UNE NUITS (anonyme) Fiche de lecture

Récits gigognes

Loin d'être homogènes, Les Mille et Une Nuits sont constituées d'un corpus de récits, de légendes, d'anecdotes, puisés tour à tour dans le patrimoine indien, arabe, persan, égyptien et même hellénistique. À chaque nouvelle période, cette œuvre s'est enrichie de l'imagination des peuples du Moyen-Orient pour s'imposer au xviiie siècle à l'Occident, fasciné alors par l'exotisme de l'Orient. Ces récits non seulement se succèdent, mais s'engendrent, s'emboîtent, mêlant histoires d'amour, épopées guerrières, chasse aux trésors, récits d'aventures.

Associant dialectismes empruntés aux classes populaires et langue classique, le recueil tel qu'il nous est parvenu rassemble à la fois des récits historiques et de pures fictions qui nous renseignent sur la vie à Bagdad, capitale du monde musulman, à l'époque du haut Moyen Âge. De cette époque date le récit du « Voyage de Sindbad le marin ». Mais d'autres figures légendaires devenues célèbres aujourd'hui y abondent – Ali Baba, Aladin –, toutes représentatives d'un imaginaire populaire.

Le personnage de Shéhérazade fille d'un vizir, auquel le prologue ne consacre que quelques lignes, et dont le nom ne revient que pour annoncer le début d'une nouvelle histoire, est pourtant devenu le symbole d'un Orient voluptueux tel que l'Occident a pu le concevoir après la lecture de ces contes. Symbole également de la féminité, puisqu'elle réussit à faire oublier au roi qui l'écoute chaque soir son désir de vengeance sanglante, et le transforme peu à peu en être sensible, capable de pardon. En effet, chaque conte retrace, par les actions de ses personnages, le triomphe des valeurs humaines véritables : la piété, la charité, la tolérance. Les fourbes, les félons finissent par payer durement leurs mauvaises actions. Pour connaître la vérité, il est fréquent de voir le calife de Bagdad se déguiser, se mêler au peuple de sa ville, afin de savoir exactement comment se conduisent les fonctionnaires placés sous ses ordres, et réparer les éventuelles injustices. Car la justice est l'un des thèmes les plus fréquemment évoqués dans les contes des Mille et Une Nuits, sous sa forme terrestre, rendue par le souverain ou ses représentants, mais aussi sous sa forme divine. Les histoires sont toujours extrêmement vivantes, elles mettent en scène tout un petit peuple d'artisans, de boutiquiers, de marchands, d'esclaves rusés, aussi bien que les grands du royaume. Elles font aussi volontiers appel à la magie et au merveilleux.

Le succès immense de cette œuvre, dont le thème a été repris pour des ballets au début du xxe siècle, mis en musique par Maurice Ravel (Shéhérazade, 1904) ou adapté au cinéma (notamment par P. P. Pasolini en 1974), tient à la philosophie de l'existence mise en valeur par le merveilleux des contes. L'ars erotica contenu dans cette œuvre, à en croire Michel Foucault dans L'Histoire de la sexualité, a déstabilisé l'Occident, y apportant une autre lumière « sur ce fragment de nuit que chacun de nous porte en soi ».

— Florence BRAUNSTEIN

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification