LES MISÉRABLES, Victor Hugo Fiche de lecture
Le messianisme hugolien
Les Misérables se composent de cinq parties, chacune portant le nom d'un personnage central du roman, à l'exclusion de la quatrième : « Fantine » (mère de Cosette), « Cosette », « Marius », « L'Idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis », « Jean Valjean ». L'histoire de Jean Valjean, véritable héros des Misérables, est celle d'une régénération morale accomplie dans le repentir et le sacrifice. Le drame individuel se hausse aux dimensions du siècle et de la société tout entière. Hugo y développe de véritables analyses sociologiques (« Les Égouts de Paris ») ou historiques (« Waterloo »). Sa critique des bas salaires, de la misère, du chômage poussant au crime participe, de ce fait, à un courant humanitaire désireux de réformer la société. Mgr Myriel définit la voie étroite, mais humaine, dévolue à chacun : « être un saint, c'est l'exception ; être un juste, c'est la règle. Errez, défaillez, péchez, mais soyez des justes. Le moins de péché possible, c'est la loi de l'homme. Pas de péché du tout est le rêve de l'ange. » La dénonciation de l'appareil judiciaire, du Code pénal impitoyable aux pauvres fondent la philosophie sociale des Misérables.
Hugo avait projeté une œuvre-message, à la fois sociale et religieuse, le roman devenant « une espèce d'essai sur l'infini » (lettre à Frédéric Morin, 21 juin 1862). L'univers du livre est fondé en effet sur l'intime conviction d'un pardon universel ne laissant aucun crime sans rachat. Chez Jean Valjean, la purification s'effectue par la souffrance, guidée par le sentiment de la liberté morale. Ainsi, l'aveu de M. Madeleine lave Jean Valjean de toute souillure : « Messieurs les jurés, faites relâcher l'accusé. Monsieur le président, faites-moi arrêter. L'homme que vous cherchez, ce n'est pas lui, c'est moi. Je suis Jean Valjean. » L'écriture des Misérables va transposer sur le plan politique et social les grands thèmes de cette philosophie morale. La foi dans le progrès rejoint le fidéisme : améliorer la condition humaine n'est pas contradictoire avec le progrès de l'âme en chemin vers Dieu.
Pourtant, Les Misérables, comme Les Contemplations, manifestent aussi la profondeur du sentiment tragique de la vie. Proche du mélodrame, la trame romanesque est fertile en coups de théâtre séparant les personnages et la société en deux parties. Vision parfois simpliste, opposant radicalement bien et mal, lumière et ténèbres. La narration reprend les thèmes des Contemplations (1856) – bonheur simple de la famille, action politique, enfants opprimés, inéluctabilité de la mort. L'élan lyrique est porté par les personnages de Fantine, Gavroche, Cosette. Aucune recherche d'objectivité, ici, nul souci de réalisme. Hugo vit à travers ses figures, solidaire de ces dernières comme Jean Valjean l'est des destinées du peuple. L'écrivain n'hésite pas cependant à rompre l'unité du récit par des dissertations historiques, où figure en bonne place l'évocation de la bataille de Waterloo. Enfin, la puissance émotionnelle du roman vient de la compassion de Hugo pour ses personnages, notamment Gavroche dont il écrit, peu avant qu'une balle ne l'atteigne : « Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée. » De même, Jean Valjean, prodiguant à Cosette et Marius son ultime conseil, formule la philosophie d'une vie entière : « Aimez-vous bien toujours. Il n'y a guère autre chose que cela dans le monde : s'aimer. » Les Misérables présentent, de ce fait, une grande variété de thèmes, que l'utopie sociale vient relier les uns aux autres. Il est possible ici d'évoquer un messianisme hugolien, proche[...]
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Écrit par
- Jean-François PÉPIN : agrégé d'histoire, docteur ès lettres, professeur au lycée Jean-Monnet, Franconville
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