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LES MOTS ET LES IMAGES. SÉMIOTIQUE DU LANGAGE VISUEL (M. Schapiro) Fiche de lecture

Le livre de Meyer Schapiro (Les Mots et les images. Sémiotique du langage visuel, Macula, Paris, 2000) comporte deux études différentes : la première, « Les Mots et les images. Littéralité et symbolisme dans l'illustration d'un texte », qui donne son titre à l'ensemble, est la traduction d'un essai fameux paru en 1973 dans la série Approaches to Semiotics. La seconde, qui lui donne son sous-titre, est le texte inédit d'une conférence prononcée en 1976 : « L'Écrit dans l'image. Sémiotique du langage visuel ». Dans les deux cas, mais suivant des perspectives différentes, l'auteur pose un problème aussi complexe que fondamental pour l'art occidental et plus particulièrement l'art médiéval : celui des rapports entre l'image et le texte. Problème classique, dira-t-on. Mais la manière dont Meyer Schapiro propose de le résoudre mérite la plus grande attention : les rapports entre texte et image ne se réduisent ni à une question de sémantique, c'est-à-dire au sens que les artistes ont donné au texte à illustrer, fût-il celui de la Bible, ni au « style » propre à un artiste ou à une époque. C'est en respectant la tension entre signification et style, c'est en prêtant attention aux formes comme à leur réélaboration jamais innocente dans le temps, autrement dit, c'est seulement par une sémiotique visuelle et par l'histoire que peut être résolu le problème du texte et de l'image.

Mort en 1996 à l'âge de quatre-vingt-onze ans, Meyer Schapiro fut l'un des plus grands historiens de l'art du xxe siècle. Ce fils d'émigré juif lituanien, arrivé à New York à l'âge de trois ans, a effectué l'essentiel de sa carrière à l'université Columbia. Immense érudit, il s'est intéressé à la sculpture médiévale, aux impressionnistes et à l'art contemporain, dont certains des plus grands noms ont compté parmi ses amis. Du reste, toutes les questions du médiéviste reflètent un engagement politique (left radical) et intellectuel dans le monde actuel, dont témoignent entre autres leur ouverture théorique (à la philosophie des « formes symboliques » d'Ernst Cassirer, à la sémiotique, à la psychanalyse) et une large gamme de comparaison de l'esthétique médiévale avec l'art moderne, y compris le cubisme ou l'art conceptuel.

L'image qui se réfère au texte biblique, et souvent même l'illustre dans les manuscrits enluminés, se joue du texte ou, comme l'écrit Hubert Damisch dans sa préface, « prend langue avec lui » de multiples façons : telle image est suffisamment schématique pour convenir à l'illustration de plusieurs scènes différentes ; inversement, l'image peut librement innover et introduire des détails que le texte originel ignore. Jamais l'image n'est réductible à un texte : confrontée à son interprétation, elle le « pense » à sa manière (Schapiro n'aurait pas renié le concept de « pensée figurative » proposé naguère par Pierre Francastel) en usant notamment, pour figurer les personnages, de l'opposition entre frontalité et profil. Étudiant les représentations d'Exode, XVII, 9-3, où Moïse assure aux Hébreux la victoire sur les Amalécites en gardant les bras levés avec l'aide d'Aaron et de Hour, l'auteur montre comment la figuration frontale, caractéristique d'un « thème d'état » à forte signification symbolique (Moïse, les bras en croix, préfigure le Christ), cède la place à partir du xiiie siècle à la figuration de trois quarts ou de profil caractéristique d'un « thème d'action » plus attaché à dépeindre l'engagement de Moïse dans la bataille, voire (dans la Bible moralisée) à établir un rapport « typologique » entre Moïse et le prêtre qui,[...]

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