LES MYSTÈRES DU GYNÉCÉE (ouvrage collectif), LA GRANDE FRESQUE DE LA VILLA DES MYSTÈRES À POMPÉI (G. Sauron ) Fiche de lecture
Pour qui se rend à Pompéi, la visite de la villa des Mystères, explorée à partir de 1909, est comme un pèlerinage. À l'écart de la foule des touristes qui s'engage dans le périmètre des fouilles, il faut suivre une route empruntée par d'autres initiés. On atteint les vestiges d'une riche demeure située à 400 mètres hors des remparts antiques, et l'on rejoint, après quelques détours, un salon de 9 mètres sur 6. Il donne par une petite porte sur une chambre et par une large baie il ouvre sur un jardin, Naples et Capri au loin.
Ce n'est pourtant pas la vue sur l'horizon qui retient l'attention, mais le spectacle d'une composition picturale fascinante. Dès l'entrée, le visiteur est assailli par une série de figures féminines et divines – au total, vingt-neuf personnages – représentées presque grandeur nature. Leur présence est telle qu'on garde longtemps en mémoire leur image. Qui peut oublier cette démone ailée qui, proche de Dionysos et menaçante, semble fouetter l'air, tandis que, plus loin, une jeune fille à demi nue se réfugie épouvantée auprès d'une autre femme ? Même après la révélation des décors peints des tombes macédoniennes, l'œuvre pompéienne reste la plus grande, la plus surprenante et la mieux conservée des peintures antiques. Elle est aussi celle qui a suscité le plus de commentaires.
Avec l'audace qui lui est familière, Paul Veyne fait table rase des interprétations passées dans Les Mystères du gynécée (ouvrage qui comporte en outre une contribution de François Lissarrague, « Intrusions au gynécée », et une autre de Françoise Frontisi-Ducroux, « Le Sexe du regard » ; Le Temps des images, Gallimard, 1998). Son guide n'emprunte à personne et remporte sans conteste la palme de l'invention. Dès les premières pages, le savant fournit une clé qui rompt le mystère, mais entretient la surprise. La fresque pompéienne du ier siècle avant J.-C. est la copie d'un original exécuté pour les noces d'un prince de l'époque hellénistique. L'ensemble pourrait s'intituler « Matin de noces » ou « La visite de Dionysos au gynécée ». Ce décor ne traduit pas les sentiments d'une propriétaire formée aux pratiques initiatiques dionysiaques. On ne les représente d'ailleurs jamais là où elles se tiennent, car il est sacrilège de montrer ce qui doit être tenu secret. La peinture introduit très prosaïquement, et de manière presque laïque, à l'intérieur de « cette sorte de harem monogame » qu'entretenait l'homme grec. Le jour de ses noces, il avait l'habitude de faire peindre ou tisser une scène (le pastos) pour célébrer l'arrivée de la fiancée dans sa nouvelle maison. La fresque de Pompéi reprend ce modèle : elle évoque un mariage auquel Dionysos s'est invité un peu à l'improviste. Mieux, elle se lit en parallèle avec les Noces aldobrandines, une peinture conservée au musée du Vatican où le marié est figuré sous les traits de Dionysos et qui partage avec l'œuvre pompéienne nombre de thèmes.
Pour Paul Veyne, toute idée de mystère est expulsée. À un bout de la pièce, dans l'angle, la mère assise surveille son petit monde, le contrat de mariage à portée de main. À droite, la fille se pare pour ses noces ; à gauche, le fils cadet étudie ses classiques. Plus loin, la mère parfume l'eau du bain postnuptial qui scelle l'union des époux. Au fond de la salle, Dionysos et Ariane font irruption au milieu d'un cortège de satyres et de ménades. Ils participent au banquet du mariage qu'animent des musiciens, une cantatrice et une danseuse dans le plus simple appareil. Quant à la jeune femme effrayée par le phallus rituel caché dans le van mystique, elle est, en vérité, initiée aux choses du sexe. La scène est une[...]
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Écrit par
- Hervé DUCHÊNE : professeur émérite d'histoire ancienne, université de Bourgogne, Dijon