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LES NAUFRAGÉS DU FOL ESPOIR (A. Mnouchkine)

<em>Les Naufragés du fol espoir</em>, par le Théâtre du Soleil
 - crédits : robbie jack/ Corbis/ Corbis Entertainment/ Getty Images

Les Naufragés du fol espoir, par le Théâtre du Soleil

« Création collective du Théâtre du Soleil mi-écrite par Hélène Cixous sur une proposition d'Ariane Mnouchkine », comme le précise le programme, Les Naufragés du fol espoir ( Cartoucherie de Vincennes, 2010) est composé de trois histoires qui s'enchevêtrent en un jeu de construction extraordinaire d'intelligence, de virtuosité et d'émotion. La première relate le tournage d'un film réalisé aux dernières heures de la Belle Époque par un cinéaste et sa sœur, dans le grenier d'une guinguette des bords de la Marne. Socialistes et pacifistes, ils rêvent d'une humanité nouvelle, persuadés que ce xxe siècle sera « le plus beau », porteur qu'il est d'idées révolutionnaires dans un monde de progrès aux inventions sans limites – électricité, automobile, aéroplane et cinématographe !

La seconde reprend le scénario du film en train de se tourner : librement adapté d'un roman posthume de Jules Verne (Les Naufragés du Jonathan), elle raconte l'aventure de migrants jetés par la tempête sur les côtes d'une île perdue, à l'extrême pointe de la Patagonie. Ayant fui, lui aussi, le Vieux Continent, un archiduc austro-hongrois y est devenu le protecteur des derniers indiens Alakaluf. Il sauve les naufragés et fonde avec eux « la première société socialiste [...] d'après la lutte des classes puisqu'il n'y a pas de classes ». La dernière est celle du Théâtre du Soleil lui-même, prenant prétexte de ses péripéties, pour exprimer aussi bien ses désirs que ses interrogations sur son fonctionnement et sa pratique, son rapport à la société et au public.

Las, de même que le tournage s'interrompt brutalement, emporté par la marche inexorable des événements (commencé dans l'euphorie le 18 juin 1914, il s'arrête le 1er août, au lendemain de l'assassinat de Jaurès, à la veille de la mobilisation générale), le scénario du film vire au noir : de l'or a été trouvé sur l'île. Les prospecteurs accourent, contraignant l'archiduc à quitter son île. En une séquence ultime, le cinéaste parviendra cependant à préserver son message : retiré dans un phare tout au bout de la Terre de Feu, l'archiduc apportera désormais « aux vaisseaux qui naviguent dans le noir » la « lumière obstinée » qui les sauvera du naufrage. Cette même lumière qu'entretient avec la même foi le théâtre avec sa « servante », cette petite ampoule allumée en permanence sur la scène une fois la représentation achevée.

Sur la scène du Théâtre du Soleil métamorphosée en grenier de guinguette, lui-même transformé en studio de fortune avec cordes, cintres, poulies, le spectacle, malgré ses quatre heures de durée, file vite, emporté par le souffle de la vie qui court. Vie du personnel de la guinguette. Vie de l'équipe du film (réalisateur, acteurs, techniciens...). Vie du théâtre et du cinéma, aussi, auxquels Ariane Mnouchkine emprunte allègrement leurs artifices capable de rendre l'illusion plus vraie que le réel : carton-pâte et toiles peintes, ficelles grosses comme les cordes qui hissent la sœur du cinéaste et sa caméra pour inventer le plan en plongée, neige factice projetée à l'aide d'un ventilateur ou d'une petite poire...

Enchanté par la partition musicale composée et jouée en direct par Jean-Jacques Lemêtre à partir d'extraits d'œuvres de 350 compositeurs (Prokofiev, Brahms, Puccini, Verdi, Schubert...), le public voit le spectacle se dérouler, et, dans le même temps, être fabriqué par ceux qui le font. Il voit le décor se dresser – les changements sont à vue – tandis que, dans un mouvement d'une fluidité extrême, les scènes semblent s'écrire d'elles-mêmes, se répondant comme en écho. On est dans le domaine de l'artisanat au sens le plus beau et le plus fort du terme, au service d'un théâtre qui, bien que jamais[...]

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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Média

<em>Les Naufragés du fol espoir</em>, par le Théâtre du Soleil
 - crédits : robbie jack/ Corbis/ Corbis Entertainment/ Getty Images

Les Naufragés du fol espoir, par le Théâtre du Soleil