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LES NOMS D'ÉPOQUE (dir. D. Kalifa) Fiche de lecture

La pandémie due à la Covid-19 paraît propice aux prophéties hasardeuses. Un journaliste affirmait ainsi péremptoirement que notre période serait infailliblement appelée par les générations futures : « Le Grand Confinement ». À en croire Les Noms d’époque, de « Restauration » à « années de plomb » (Gallimard, 2020), rien n’est moins sûr, tant ces « chrononymes » sont souvent rétrospectifs. L’ouvrage dirigé par Dominique Kalifa porte précisément sur la manière dont l’histoire occidentale contemporaine baptise les périodes historiques depuis la Révolution française et en infléchit ainsi le sens : « Même réfléchie, la désignation d’une période charrie avec elle tout un imaginaire, une théâtralité, voire une dramaturgie, qui peuvent en gauchir l’historicité propre et donc le sens. »

De nouveaux « lieux de mémoire »

Le livre est composé de quatorze chapitres, chacun étant rédigé par un historien spécialiste de la période. Chaque essai respecte le même protocole : cerner les conditions spécifiques d’émergence d’une expression et faire l’histoire de ses usages et de leur évolution différenciée. L’enjeu historiographique est considérable : explorer les chrononymes, les suivre dans leurs atermoiements sémantiques, les démystifier et les démonter se révèle essentiel pour comprendre la part de constructions et d’imaginaires complexes qui accompagne les représentations du passé. Les chapitres se partagent entre deux parties qui sont aussi deux catégories : « Nommer son temps », soit la série des expressions endogènes forgées par les contemporains pour désigner leur époque (« Restauration », « Risorgimento », « L’ère victorienne », « The Gilded Age », « Fin de siècle », « Transiciónet movida », « Les années de plomb ») et « Remémorer, réinventer le temps » soit les autres expressions plus nombreuses, exogènes, rétrospectives, anachroniques et récapitulatives (« Le printemps des peuples », « L’âge d’argent », années folles, « L’entre-deux-guerres », « Les années noires », « StundeNull » [« l’heure zéro », soit la fin de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne], « Les Trente Glorieuses »).

Ce livre est paru dans la « Bibliothèque des histoires » qui accueille rarement des ouvrages collectifs. Pour Pierre Nora, le directeur de la collection, il s’agissait sans aucun doute d’inscrire cet ouvrage et la notion de chrononyme dans la filiation des Lieux de mémoire, série qu’il avait dirigée dans la même collection et qui a fini par devenir un concept historique majeur. Cette publication souligne la filiation qui existe entre les deux entreprises.

Historien de la culture et des représentations, Dominique Kalifa a, d’une part, travaillé sur l’histoire des criminels, des détectives, des bagnes et de la police mais, d’autre part, il a surtout voué une partie considérable de son œuvre à penser la chronologie, la périodisation, parfois contre les traditions historiographiques (La Culture de masse en France 1860-1930, 2001) et déjà les chrononymes avec l’essai consacré à la Belle Époque (La Véritable Histoire de la Belle Époque, 2017).

Le chrononyme a un côté « chatoyant » qui permet de condenser plusieurs traits d’une période d’une manière efficace, de faire réfléchir et aussi de faire image, au sens où pouvait le faire une image d’Épinal. Ainsi, le succès d’un chrononyme comme « Les années noires », qui s’est imposé dans les années 1990 pour désigner l’occupation de la France par les Allemands entre 1940 et 1944, met l’accent sur les aspects les plus sombres de la période et sur l’indignité d’un pays soumis.

Les chrononymes qui s’imposent ont souvent une portée narrative. Ils fonctionnent comme un récit, avec un avant et un après, ils sont en quelque sorte en mouvement. « Risorgimento[...]

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Écrit par

  • : professeure des universités, université Paul-Valéry Montpellier 3, membre senior de l'Institut universitaire de France

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