LES NOURRITURES TERRESTRES, André Gide Fiche de lecture
En avril 1897, lorsque Les Nourritures terrestres paraissent au Mercure de France, à compte d’auteur et en tirage limité, André Gide (1869-1951) a déjà publié plusieurs ouvrages – Les Cahiers d’André Walter (1891), LesPoésies d’André Walter (1892), Le Voyage d’Urien (1893) et Paludes (1894) – qui l’ont fait connaître des milieux littéraires. Rédigé entre 1894 et fin 1896, le livre, s’il passe inaperçu du grand public, fait l’objet d’articles élogieux dans plusieurs revues. Il faudra attendre sa réédition en 1917 aux éditions de la NRF, et surtout celle de 1927, assortie d’une préface de l’auteur, pour qu’il devienne le bréviaire d’une génération. En 1935 paraîtront Les Nouvelles Nourritures, un pendant plus qu’une suite du livre de 1897, les deux ouvrages étant depuis systématiquement associés.
« Un manuel d’évasion, de délivrance »
Les Nourritures terrestres ne ressortissent à aucun genre précis : fragments de récits, poèmes (rondes, ballades…), pensées, pages de journal intime, propos philosophiques alternent dans un apparent désordre, au gré de la subjectivité d’un narrateur anonyme. Dans la préface de 1927, l’auteur les définit comme un « manuel ». Le destinataire en est un jeune homme prénommé Nathanaël, auquel le « je » du narrateur expose avec ferveur et lyrisme sa vision du monde et de la vie, et lui enjoint de la faire sienne. Entre une brève présentation (« quand tu m’auras lu, jette ce livre ») qui ouvre le texte et un « envoi » (« à présent jette mon livre ») qui le clôt, huit « livres » d’inégale longueur se succèdent.
Le premier est une profession de foi panthéiste et sensualiste, et une invite à abandonner les livres au profit de la vie sensible. Le deuxième appelle Nathanaël à se rendre disponible à la jouissance de l’instant. Dans le troisième sont évoqués des moments voluptueux vécus au cours de différents voyages. Le quatrième, le plus long et qui occupe dans le livre une place centrale, est le récit fait par Ménalque, à la fois mentor et porte-parole du narrateur (que l’on retrouvera dans Le Prométhée mal enchaîné et dans L’Immoraliste), de sa « conversion ». Le cinquième livre marque un temps de repos, avec l’évocation des plaisirs bucoliques (« La ferme ») en Normandie. En contrepoint, le sixième élargit la vision à une communion universelle avec le grand tout (« je te parlerai de tout »), dans une exhortation à puiser la beauté aux diverses sources. Le septième revient, sous la forme d’un journal de bord, sur le deuxième voyage en Afrique du Nord. Enfin, dans le huitième et dernier livre pointe la nostalgie d’une jeunesse déjà enfuie (« L’heure est désespérément passée »), et le constat de la fuite inexorable du temps, une raison supplémentaire de goûter les plaisirs de l’instant présent.
S’il est apparemment décousu, le texte n’en présente donc pas moins une forme de composition, au sens moins rhétorique que musical du terme, dont les huit livres constitueraient autant de mouvements. Le fond du propos reste globalement le même, mais les climats varient. On voit ainsi se dessiner ce trait typiquement gidien de l’alternance, ou du contrepoint – au sein d’un même livre ou d’un livre à l’autre –, ici entre l’exaltation et une forme de retombée, voire d’abattement, l’encouragement au voyage et la tentation du repli, l’affirmation provocante d’une morale « immorale » et l’insidieux soupçon de ses limites.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
Classification
Autres références
-
LES FAUX-MONNAYEURS, André Gide - Fiche de lecture
- Écrit par Alain CLERVAL
- 1 002 mots
- 1 média
André Gide (1869-1951), Prix Nobel de littérature en 1947, et en qui Malraux a vu « le contemporain capital », aura exercé une influence considérable tout au long de l'entre-deux-guerres, notamment sur la jeunesse. À partir des années 1920, Les Nourritures terrestres (1897) furent l'évangile...
-
GIDE ANDRÉ (1869-1951)
- Écrit par Éric MARTY
- 3 662 mots
- 2 médias
...serait réducteur de limiter cette aventure à une seule de ses dimensions. De ces premiers voyages, Gide a recueilli la substance de livres importants : Les Nourritures terrestres (1897), des « journaux », comme Feuilles de route et surtout ceux, moins connus, qui ont été recueillis dans l'admirable... -
L'IMMORALISTE, André Gide - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 775 mots
- 1 média
Ainsi, avec (1897), qui le précèdent, et La Porte étroite (1909) et Les Caves du Vatican (1914), qui lui succéderont, L’Immoraliste s’inscrit dans une réflexion sur la liberté, ou pour mieux dire sur la libération. On retrouve les échos de penseurs aussi influents à l’époque qu’Henri Bergson (et...