LES ORIENTALES, Victor Hugo Fiche de lecture
L’histoire rêvée
Le décor est celui d’un Orient proche : l’Égypte rêvée de l’épopée napoléonienne (« Bounaberdi », XXXIX), la Turquie des pachas (« La douleur du pacha », VII), des sultans (« Sultan Achmet », XXIX), des califes (« Le poète au calife », XXXVIII), des harems et des sultanes (« Les têtes du sérail », III ; « La sultane favorite », XII), la Grèce et ses îles (« Canaris », II) ou encore les villes espagnoles (« Grenade », XXXI). Le lyrisme exotique joue sur les archétypes du rêve romantique qui oppose volontiers un ailleurs lumineux à un ici ténébreux. Mais ici, le mythe oriental (« Clair de lune », X) cache la guerre et la mort. Comme un leurre, le « soleil d’orient » s’éclipse finalement « devant le sombre hiver de Paris » (« Novembre », XLI).
Le mythe orientaliste se révèle également un outil spectaculaire au service de la critique politique et morale, lancée dès l’ouverture : « Le feu du ciel » (I) réactualise l’histoire biblique de Sodome et Gomorrhe. L’Orient est un paradis qui cache un enfer (« Marche turque », XV ; « Le ravin », XVII). Philhellène, Hugo défend le droit à l’indépendance de la Grèce comme de tout peuple. Le poète épique loue la civilisation pharaonique et, au passage, Bonaparte (« Lui », XL), célèbre le héros et martyr cosaque « Mazeppa » (XXXIV) ; le poète lyrique entonne la « romance mauresque » (XXX), chante les amours du « sultan Achmet » (XXIV), exalte les splendeurs des villes arabes (XII) ou espagnoles (XXXI), l’hospitalité du peuple arabe, la beauté des femmes (« Sara la baigneuse », XIX) ou leur émancipation (« Lazzara », XXI) ; le poète politique dénonce la barbarie des guerriers turcs, la puissance autocratique des sultans, leur richesse fabuleuse face à la misère de leur peuple et l’esclavage (« Chanson de pirates », VIII). À la civilisation chrétienne démocratique, Hugo oppose le despotisme de l’Empire ottoman. Le recueil se referme sur l’échec du rêve oriental (« Novembre, XLI), préfigurant la veine mélancolique des Feuilles d’automne (1831).
Les Orientales forment une œuvre typiquement romantique qui, tout à la fois, célèbre et dénonce le mythe exotique de l’ailleurs. Derrière le « livre inutile de pure poésie » que revendiquait la préface, et dont se souviendront tant Gautier que Baudelaire, s’affirme le message du poète engagé qui condamne la guerre, la barbarie et l’esclavage, et qui en appelle à la liberté des peuples et de la femme.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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