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LES ORIGINES DU MONDE. L'INVENTION DE LA NATURE AU XIXe siècle

Le titre de cette très intelligente exposition, organisée conjointement par le musée d’Orsay de Paris (19 mai-18 juillet 2021) et le musée des Beaux-Arts de Montréal avec le partenariat du Museum national d’histoire naturelle, met en exergue deux des questions qui sont au cœur de la création artistique du xixe siècle. D’où venons-nous, et ce « nous » s’applique-t-il à l’homme ou à un univers qui peut avoir existé sans lui et avant lui ? Et quelle est la réalité de la nature que les hommes ont cru connaître et dominer, peut-être pas depuis toujours, mais en tout cas au long des deux derniers millénaires ?

L’incontestable bonheur que cet événement apporte naît de l’idée de laisser se dessiner les axes d’un parcours de la culture, dans ses rapports avec la nature, à travers les œuvres d’art. La collaboration exemplaire entre une neurologue et historienne des sciences, Laura Bossi, commissaire général de l’exposition, et l’histoire de l’art, a confirmé que cette dernière discipline sait pleinement faire déboucher ses analyses sur l’histoire de la pensée humaine. Le cadre chronologique était cohérent, de la Révolution française à la veille de la Première Guerre mondiale ; et il s’agissait bien des origines du monde, et non des mondes, choix qui aurait posé de tout autres questions.

La profusion du vivant

Les modifications qui jalonnent ce « long xixe siècle » sont d’abord celles des connaissances, mais aussi des interrogations que leur renouvellement fait lever, et les œuvres d’art portent témoignage de ces deux aspects. La situation de départ associe, d’un côté, les mythes qui sont, en Occident, principalement fondés sur les récits bibliques, et sans doute aussi sur leur lecture trop littérale, en particulier pour les épisodes présentés dans la Genèse ; et, de l’autre, un travail positif d’inventaire des richesses naturelles, ainsi l’Histoire naturelle de Buffon, dont l’édition en trente-six volumes est achevée en 1799. Mais les découvertes nouvelles bouleversent totalement les certitudes acquises sur l’origine et l’âge de l’humanité, et sa place immuable au sein de la nature. Les expéditions lointaines, comme celles d’Alexander von Humboldt en Amérique du Sud, de Charles Darwin en Amérique du Sud et en Australie, rendent caduque une vision fixiste des espèces face à la diversité du vivant, que le grand public occidental apprend à connaître dans des serres et des jardins botaniques enrichis de plantes exotiques. La géologie montre que la Terre a été façonnée sur un temps long, bien au-delà de ce que l’on croyait déduire de la Bible. La paléontologie, fondée par Georges Cuvier, prouve l’existence d’espèces animales disparues, comme les dinosaures. L’archéologie met à jour une préhistoire où les hommes ont peu à peu conquis des processus et des moyens qui semblaient leur appartenir depuis les origines.

<em>Girafe nubienne</em>, J.-L. Agasse - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Girafe nubienne, J.-L. Agasse

Une curiosité ouverte et passionnée pour le monde est certainement un des traits que partagent à la fois les artistes et les savants dont les œuvres sont réunies et évoquées ici. À la place d’un monde créé à un moment précis, et dans lequel les êtres vivants adoptent des formes définies et fixes, les hypothèses fortes de Darwin, comme celles formulées dans son Origine des espèces(1859), utilisent le schéma de l’arbre, proposé dès 1809 par Lamarck pour exprimer l’unité et la diversité du vivant : les espèces ont évolué au cours du temps, et cette évolution dépend d’une « sélection naturelle ».

Peintures, sculptures, objets d’art, livres illustrés, publications savantes – des planches de naturalistes consacrées aux oiseaux ou aux méduses aux merveilleuses peintures d’Odilon Redon ou de Claude Monet – rendent compte de ce foisonnement qui oscille entre observations patientes du monde, interrogations nouvelles, mais aussi polémiques devant des[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite d’histoire de l’art à l’université de Lille

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Média

<em>Girafe nubienne</em>, J.-L. Agasse - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Girafe nubienne, J.-L. Agasse