LES PAPILLONS DU BAGNE (J. Rolin) Fiche de lecture
Un paysage suivi à la trace
Plus que les lépidoptères, la Guyane est en soi un de ces territoires qui passionnent l’auteur d’Un chien mort après lui (2009) ou du Traquet kurde (2018). Les animaux y sont des révélateurs. Ils disent un certain état de la société et du monde. Ils mettent en lumière les dérèglements que nous subissons, révèlent la pauvreté et la violence autant que la fascination éprouvée par qui les étudie. L’Homme qui a vu l’ours (2006), recueil d’articles écrits entre 1980 et 2005, est à cet égard emblématique. En quelque lieu de la Terre qu’il arpente, Rolin voit des animaux, et leur sort plus ou moins heureux augure du nôtre.
Dans Les Papillons du bagne, le morpho est d’abord l’insecte qui symbolise le bagne et ses souffrances. Le narrateur enquêteur explique le fonctionnement de cette institution qui a perduré jusqu’en 1953. Les détenus – distingués entre « transportés » et « relégués » – enduraient les épreuves, se faisaient exploiter sans qu’un contrôle efficace de l’État empêche les divers profiteurs d’agir. La Guyane que traverse Rolin reste une vaste terre incertaine, entre le Brésil, dans ses recoins les plus anarchiques, et un Suriname très contrôlé par la police locale. On va d’un village à un bord de fleuve, d’un bistro à un carbet, les rencontres sont nombreuses, parfois surprenantes. Ainsi dans le village de Cacao, d’une communauté Hmong ayant fui le Laos dans les années 1970 et installée là depuis. Quelques français de métropole vivent sur ce territoire, lui ajoutant une note presque exotique.
La forêt amazonienne transforme cet espace en un labyrinthe que l’écriture rend sensible : la digression, l’incise, le coq-à-l’âne qui sont la marque du « style Rolin » prennent tout leur sens, comme une figuration de l’espace en mots. On se perd avec délice dans les détails, retours en arrière ou anticipations.
Malgré ces cahots apparents, le fil ténu demeure. L’écrivain a en effet l’art de tisser des liens, de passer d’un espace ou d’une époque à l’autre et sa phrase, souvent longue, jouant avec élégance sur le retardement, contribue au plaisir de la lecture. Rolin est d’un autre siècle, entre le classicisme du xviie et la curiosité encyclopédique du xviiie. Il aime faire connaître, et le fait dans cette langue soutenue à l’ironie discrète dont on ne se lasse pas.
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Écrit par
- Norbert CZARNY : professeur agrégé de lettres modernes
Classification
Média