LES PARAPLUIES DE CHERBOURG, film de Jacques Demy
Le charme discret d'une chorégraphie irréprochable
Tout le génie de Jacques Demy va consister à transcender par son style un scénario d'apparence mièvre. Le réalisateur décide d'abord de faire chanter tous les personnages et de ne faire entendre que des dialogues en musique. Il provoque le spectateur dès la séquence initiale qui se déroule dans un garage avec les ouvriers mécaniciens. Un client : « C'est terminé ? » Guy : « Oui, le moteur cliquète encore un peu à froid, mais c'est normal. » Dans la salle des lavabos, un mécano va jusqu'à chanter, à propos de l'opéra et de Carmen : « J'aime pas l'opéra. Le ciné, c'est mieux ! Tous ces gens qui chantent, tu comprends, ça me fait mal. » Mais dès ces premières minutes, la partition de Michel Legrand, l'orchestration du grand ensemble de jazz, le naturel des acteurs, le choix des couleurs, l'ironie des dialogues, tous ces éléments emportent l'adhésion du spectateur, d'abord surpris, puis tout à fait séduit. L'apparition de Geneviève souriante, tout de jaune vêtue dans la vitrine du magasin tapissé de mauve, semble alors naturelle. Chacun des personnages va avoir son thème. Celui du couple Guy/Geneviève « Je ne pourrai jamais vivre sans toi. » est répété douze fois au cours du film.
Ce parti pris musical va de pair avec une stylisation complète de l'espace et des lieux de l'action. Les personnages appartiennent à des milieux « simples » : garagiste, couturière, commerçante, et on les voit vivre dans des décors quotidiens. Mais tous ces décors sont transfigurés par le cadrage, le choix des couleurs et les rapports établis entre les costumes des personnages et leur environnement. En ce sens, Les Parapluies de Cherbourg appartient à une tendance graphique et plastique de l'esthétique du cinéma. Chaque plan est structuré comme une planche de bande dessinée et les personnages viennent y inscrire leurs gestes avec une précision millimétrée. Cette minutie provient des exigences du « play back » qui contraint les acteurs à jouer et à bouger à partir de la bande son préalablement enregistrée. Cette technique annonce avec quelques décennies d'avance le cinéma contemporain fondé sur le modèle du « story board » et l'image de synthèse.
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Écrit par
- Michel MARIE : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
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- 3 201 mots
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