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LES PARAVENTS (mise en scène d'A. Nauzyciel)

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Un carnaval funèbre

Colons, travailleurs arabes, combattants, soldats et filles forment des chœurs de village évoluant autour du trio central composé de la Mère, du Fils et de la belle-fille. La Mère (Marie-Sophie Ferdane), fantasque, entremetteuse auréolée de mystère, est une sorcière shakespearienne aux dentelles noires. Le fils Saïd (Aymen Bouchou) est si pauvre qu’il lui faut « épouser la plus laide femme du pays d’à côté et de tous les pays d’alentour » (Hinda Abdelaoui). À partir de ce trio lumineux et vivant, souillé de boue, de misère et de la tentation du délit, le regard du public ne peut éviter de se porter sur la réalité algérienne.Loin de toute soumission, les Arabes des Paravents refusent de simuler un quelconque acquiescement à leur condition. Ces figures de la provocation s’affrontent avec emphase, s’amusent des impostures, consentant dans la mort à leur universelle humanité.

Un somptueux et monumental escalier blanc – scénographie de Riccardo Hernández – privilégie la perspective des mouvements, sensible à l’ascension réaliste et symbolique des êtres, aux glissements risqués d’une pente vertigineuse. La verticalité pose les enjeux de pouvoir – domination, colonisation –, accentue la hiérarchie militaire, l’arrogance des colonisateurs qui escaladent leurs terres pour les contempler en propriétaires. Jusqu’à la chute fatale, la contemplation existentielle depuis la mort qui indifférencie tout – qu’on soit maître, exploité ou victimes tombées au combat.

Car Genet porte un regard sans illusions sur l’idée même de révolution. Comme l’écrit Michel Corvin dans sa préface aux Paravents, « la révolte populaire n’est qu’un marché de dupes et ne subsistent que la récupération et l'échec de la révolte : les “anarchistes” Saïd, Leila et la Mère sont neutralisés par les combattants arabes qui restaurent à leur profit l’image mensongère et la structure répressive de l’armée colonialiste ». Arthur Nauzyciel n’en a pas moins tenu à faire une place à la réalité de cette guerre en intégrant au spectacle une vidéo de son cousin Charles Nauciel, lisant les lettresqu’il avait envoyéesd’Algérie alors qu’il était jeune appelé. Un contrepoint aux interprètes chorégraphiés par Damien Jalet qui exécutent des semblants de parade au pas cadencé : pantins au verbe haut animés par la voix, le geste et la danse.

Jean Genet voyait dans un cimetière le lieu idéal où interpréter Les Paravents. Fidèle à son écriture luxuriante, la mise en scène d’Arthur Nauzyciel organise le ballet fantasmagorique du retour des défunts revenant assister à une expérience collective instable, regardant les vivants comme les acteurs d’une Histoire manipulatrice dont ils ne sont que les marionnettes.

— Véronique HOTTE

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