PITT LES
Le père et le fils, l'aîné devenu comte de Chatham en 1766, « le jeune », parvenu à la charge suprême de Premier ministre, en 1783, cinq ans après la mort de son père, constituent le cas exceptionnel dans l'histoire de l'Angleterre d'une famille d'hommes d'État dont l'influence ait été décisive pour les destinées nationales pendant plus d'un demi-siècle. À l'intérieur, ils ont contribué à la définition et au fonctionnement d'une monarchie « constitutionnelle » souvent offerte en modèle avant l'âge démocratique du xixe siècle ; aux yeux de l'étranger, ce titre de gloire paraît bien mince en regard de l'impulsion donnée à une politique mondiale ambitieuse. À l'aîné, on doit la stratégie qui mit fin, pour l'essentiel, aux aspirations françaises en Inde et en Amérique du Nord ; au second, l'action obstinée qui permit seule de limiter les succès de la France révolutionnaire et napoléonienne et de mettre en route les mécanismes et les principes qui conduisirent à Waterloo et à un nouvel ordre européen. Pour les Français, le nom de Pitt a longtemps symbolisé, à lui seul, l'ennemi héréditaire et a revêtu à la fin du xviiie siècle les aspects mythiques d'un démon présent dans tous les complots et dans toutes les machinations. La révération des Britanniques pour leurs hommes d'État a été à la mesure de la répulsion qu'ils ont inspirée à leurs voisins d'outre-Manche. À cette époque, la monarchie est loin d'avoir abdiqué tout rôle actif : on ne peut réussir qu'avec l'appui du souverain, l'aîné s'en aperçut en 1760-1761 quand George III remplaça son protecteur George II, le cadet dut tout au soutien du même George III. Les partis politiques ne sont alors pas réellement constitués, même s'il paraît commode de se qualifier de whig ou de traiter son adversaire de tory. Le jeu des intérêts qui oppose marchands et grands propriétaires fonciers, les intrigues familiales qui font naître des clans dans les hautes sphères de l'État, les ambitions individuelles, la corruption qui, longtemps, a fait les majorités nécessaires ont compté davantage que les programmes, importé plus que l'exigence, encore mal perçue, d'une quelconque discipline de vote au Parlement. Il appartint pourtant au second Pitt, aidé par les réactions de ses concitoyens à la Révolution française, de rapprocher ses partisans du modèle d'un conservatisme ou d'un toryisme moderne : paradoxalement, le fils a fini par incarner un « parti » dont le père avait été l'adversaire privilégié !
Le génie des Pitt est d'avoir su comprendre, au temps des révolutions agricole, commerciale, industrielle, que le destin de leur pays dépendait de la maîtrise britannique des mers, de l'élargissement de son empire colonial, du succès de ses échanges, de la satisfaction des besoins nouveaux de l'économie ; de l'art de mettre au service d'une politique mondiale les relations et les liens en Allemagne qui, en d'autres temps, auraient constitué autant de freins à l'action. Idoles successives des milieux financiers, faits l'un et l'autre, à des décennies d'intervalle, citoyens d'honneur de la Cité de Londres, ils ont innové sans inquiéter à l'excès et accéléré le changement sans courir le risque de ruptures brutales.
Le premier Pitt (1708-1778)
D'une famille de gentlemen, fils et petit-fils d'un député d'Old Sarum, qui constitua au xviiie siècle l'exemple typique du « bourg pourri », lui-même poussé dans la même position grâce à ses liens familiaux, il apparaît sur la scène politique à partir de 1736 ; il se pose rapidement en adversaire du Premier ministre Walpole, émule du cardinal Fleury et, comme son égal français, trop épris de paix[...]
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Écrit par
- Roland MARX : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Médias