LES PLEURS, Marceline Desbordes-Valmore Fiche de lecture
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) publie Les Pleurs, poésies nouvelles, chez Charpentier, en mai 1833. Avec la révolution de Juillet (1830), puis le règne de Louis-Philippe, cette poétesse reconnue voit apparaître la nouvelle génération romantique que son recueil tente d'accompagner.
Composés à partir de 1826 et jusqu'à la fin de 1832, réécrits ou publiés dans les journaux, les soixante-sept poèmes des Pleurs paraissent, à la demande de son éditeur et pour des raisons publicitaires, avec une préface d'Alexandre Dumas. Bien qu'au sommet de sa réputation, la femme de lettres, qui vit de sa plume, manque d'argent et mène une existence soumise aux déménagements de son mari acteur.
Une poésie de la perte
Ces poésies élégiaques et autobiographiques déplorent la perte des amours, des êtres chers et de la terre natale. À la confidence intimiste du titre « Mes pleurs » réclamé par l'éditeur, l'auteure a préféré Les Pleurs, en opposition aux clichés de la Mater dolorosa et de la plainte narcissique. Ce titre générique fait du poème un moyen de connaissance éthique. Les nombreuses épigraphes (d’André Chénier, Victor Hugo, Alphonse de Lamartine, Louise Labé…) reflètent la culture de celle qui se dit « indigente glaneuse » en inscrivant ses émotions dans un immense héritage littéraire. Au-delà des larmes personnelles d'une « faible femme » qui n'aurait « su qu'aimer et souffrir », Les Pleurs recèle la violence ambivalente et « maudite » de l'amour et la haine ; au-delà du ressassement morbide, Marceline Desbordes-Valmore exprime le dépassement de soi par le réveil du cœur d'enfant qui gît en elle.
Ni chronologique ni thématique ni formelle, la structure fluente du livre procède d'une recomposition minutieuse et complexe, élaborée à partir des poèmes écrits au fil de la vie. La suite lyrique épouse la métamorphose lente, secrète et paradoxale d'une conscience dont la passion se retourne en compassion.
Le recueil s'ouvre « comme un secret » sur un appel à la « pitié » (« Révélation », I) pour « un cœur de femme » qui a tout perdu et aimerait retrouver « l'étonnement du jour ». Interpellant l'être aimé, la poétesse décline sa passion amoureuse : attente, tristesse, haine, jalousie, adieu, solitude. Puis l'amante abandonnée se détache de sa plainte (« Ne me plains pas ! », XX) et de son désespoir intime (« Détachement », XXVI) ; sa « tendresse exilée » se résigne à la finitude. Tentant de « tire[r] un bienfait du fond de tant de larmes », elle se tourne vers une « charité lumineuse » qui prend soin du bonheur précaire. La mémoire ressuscite les êtres aimés : Les Pleurs se referme sur un cycle de sept pièces consacrées « Aux petits enfants » qui vénèrent la beauté fragile de l'innocence et la miséricorde chrétienne.
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Écrit par
- Yves LECLAIR : professeur agrégé, docteur en littérature française, écrivain
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